Hercule

III. OÙ IL EST PROUVÉ QUE LE NOMBRE NE FAIT PAS LA FORCE

De Delphes, Hercule prit un bateau pour Corinthe.

La traversée dura un jour entier, que notre bon Hercule passa à moitié par-dessus le bastingage à purger son estomac de ses récents excès. Aussi, profitons de ce moment délicat pour dresser un portrait physique concis mais précis de notre pauvre héros, ou plutôt de ce qu'il en restait.

C'était un jeune homme de vingt-huit à vingt-neuf ans, fort comme un roc, aux muscles saillants et à la taille bien faite. De longues boucles blondes lui couvraient les oreilles et encadraient un nez bien fait et imposant, humant avec abandon l'air frais de la mer.

Si son physique jouait en sa faveur, on ne pouvait en dire autant de son esprit. Non que le jeune homme soit bête, non, nous ne pouvons pas l'affirmer avec certitude considéré son passif dramatique, aussi tâchons simplement de préciser que l'animal n'était pas fûté pour deux sous et privilégiait une bonne prise de lutteur olympique à la rhétorique.

Quant à sa tenue, elle était bien simple et peu originale pour l'époque, puisque Hercule dissimulait une partie de son corps de demi-dieu sous une toge jadis blanche mais rougie par les exactions de la veille et jaunie par les conséquences du jour.

Une fois arrivé à Corinthe, il acheta une mule assez solide pour y transporter son baluchon et ses ouailles, puis se mit en route pour Mycènes.

Perché sur sa mule, Hercule souffrait du soleil de midi, quand soudain surgirent cinq hommes de derrière un rocher.

━ Ah Ah ! Tu es pris, voyageur ! s'exclama celui qui semblait être le chef de la petite troupe.

━ Moi, pris ? Mais vous n'êtes que cinq.

━ Que cinq ? Mais tu es seul, malheureux !

━ Vous avez bien raison sur un point, M. le brigand, je suis malheureux.

━ Et seul.

━ Et seul, effectivement. Maintenant, je vous déconseille grandement de sous-estimer le nombre de vos ennemis.

━ Vous n'êtes donc pas seul ? dit le brigand en se hissant sur la pointe des pieds pour interroger l'horizon.

━ Aussi seul qu'un voyageur solitaire puisse l'être. Sinon il ne serait pas solitaire.

━ Je vous l'accorde. Mais assez discuté, videz votre bourse sur le sol !

━ Ma bourse ? Mais elle est bien vide. A peine contient-elle cinq drachmes.

━ Cinq drachmes ? Mais vous faites décidément une prise bien singulière ! Cinq drachmes, c'est une pièce pour chacun de nous. C'est peu.

━ Il faudra pourtant vous en contenter.

Et, tout en prononçant ces mots, Hercule vida sa bourse sur le sol.

━ Vous ne mentiez pas, il y a bien cinq drachmes.

━ Je ne mens jamais, dit Hercule en croisant les doigts derrière son dos.

━ Alors en plus des drachmes, nous prendrons votre baluchon.

━ Ah Ah ! Mais sauf votre respect, l'unique toge qu'il contient est bien trop grande pour vous !

━ Alors nous réquisitionnons votre mule !

━ Mon mulet ? Il lui a fallu une heure pour se décider à quitter le marché de Corinthe. Elle s'arrête sans raison et renifle tout ce qui lui passe sous le museau !

━ Mannekenpis, file ramasser les pièces, dit le chef découragé au plus costaud des voleurs.

━ Hop hop hop ! intervint Hercule.