L'inconnu et moi

Chapitre 2

Elle

Henry est toujours suspendu à son mobile. En ce qui me concerne, j'évite soigneusement le regard de l'homme au look sexy. Nos plats sont arrivés depuis plusieurs minutes déjà, mais son appel téléphonique a l'air deux fois plus intéressant. Je ne peux lui en tenir rigueur, nous n'avons visiblement rien à faire ensemble. J'attrape ma pochette posée à mes pieds et je me faufile dans les toilettes des dames. J'entre dans un cabinet et je me laisse glisser contre la porte en sortant mon portable, cette soirée est un désastre. Je fais défiler mon répertoire jusqu'à voir le nom de Lexie apparaître. Une sonnerie... deux... trois...

— Brook ! dis-moi que tout se passe super bien et que tu ne rentres pas cette nuit.

Je soupire bruyamment.

— Pas exactement.

— Quoi Henry ne se conduit pas bien ? demande ma meilleure amie surprise.

— Ce n'est pas ça, mais j'ai l'impression qu'on n'a rien en commun et il est au téléphone depuis plus de trente minutes.

— Il a un travail très prenant, tu sais.

J'ai remarqué...

— Je crois que je vais rentrer, ce n'était pas une bonne idée.

— Non Brook, laisse-lui une chance, c'est un mec bien !

Je me redresse en mettant de l'ordre dans ma tenue.

— Je ne sais pas Lexie, il a l'air trop...

— Quoi ?

— Gentil.

— C'est plutôt bien non ?

— Je suppose...

— Brook amuse-toi, tu es jeune, prend ton pied avant tout. Ciao !

J'ouvre la porte en glissant de nouveau mon portable dans ma pochette et quand je relève la tête, je me stoppe nette dans mon élan. Interloquée, je recule d'un pas, sans voix de voir monsieur cheveux en bataille adossée à l'un des lavabos dans une posture désinvolte. Il est grand et plutôt musclé, je n'avais pas remarqué sa barbe de trois jours tout à l'heure et je n'avais pas distingué non plus à quel point il était sexy et un tantinet intimidant.

— Tu ne sais pas lire, les toilettes pour hommes, c'est de l'autre côté du couloir ! dis-je plus sèchement que je ne le voulais.

Il ne répond pas et se contente de me regarder avec amusement. Agacée, je le contourne pour me laver les mains même si ce n'est pas utile.

— Je pourrais te faire passer une bonne soirée, moi, dit-il alors que je me dirige vers la porte.

Je me retourne avec dédain.

— Je passe une excellente soirée.

Il arque un sourcil.

— Ce n'est pourtant pas ce que tu disais à ton amie il y a deux minutes.

J'ouvre la bouche sans qu'aucun son n'en sorte, alors, il a écouté ma conversation ? Pour qui il se prend ce mec à venir se taper l'incruste dans les toilettes pour femmes ? Tout ça pour me rappeler que je passe une soirée pourrie.

— Je ne vois pas en quoi ça te concerne.

— Je voulais simplement t'aider, dit-il en s'approchant lui aussi de la sortie, et te proposer de te raccompagner parce que ton rendez-vous vient de se barrer.

Quoi ? J'ouvre la porte et je fouille la salle du regard. Merde, il dit la vérité ce con, Henry n'est plus là. Mais quelle idiote, forcément, il a dû penser que j'étais partie !

— Tu vois, j'avais raison, ajoute -t-il avec sarcasme.

Je remarque que la table où il était avec ses amis est vide elle aussi.

— Peu importe, je n'étais pas venue avec lui de toute façon.

Sur ses mots, je traverse le restaurant en dégainant mon portable pour appeler un taxi. Il n'est que vingt heures, si je rentre maintenant Lexie va encore me sortir son discours sur le fait que mon métier me rend casanière. Finalement je range mon téléphone et je commence à marcher sans but précis juste pour faire passer le temps. Los Angeles est calme pour un samedi soir c'est étrange, les rues sont habituellement beaucoup plus fréquentées. J'entends des bruits de pas rapide derrière moi et je ne suis pas surprise de voir arriver monsieur cheveux en bataille à côté de moi.

— Tu ne devrais pas rester seule dans la rue dans cette tenue et à cette heure. Encore moins sur un trottoir.

Il est vraiment collant celui-là. Est-ce qu'il insinue qu'on pourrait penser que je fais la prostituée ?

— Merci du conseil, mais je suis assez grande pour prendre mes décisions moi-même !

— Ce n'est pas parce que tu prends une décision toi-même que c'est forcément la bonne, laisse-moi te ramener chez toi.

Je m'arrête et il fait de même. Pourquoi me ferais-je raccompagner par un illustre inconnu ?

— Laisse-moi tranquille, je ne rentre pas chez moi, et même si c'était le cas je ne rentrerais pas avec toi !

— Tu pourrais tomber sur de sales types ici, poursuit-il.

— Le seul sale type que je vois, ici c'est toi ! crachais-je.

Il vacille comme si je l'avais giflé, sa mâchoire se contracte nerveusement. Zut, j'y ai été un peu fort, il veut simplement me ramener parce qu'Henry est parti et moi, je le froisse.

— Excuse-moi, je ne voulais pas être désagréable.

Je commence à marcher de nouveau, et cette fois il ne me suit pas, mais je parcours à peine quelques mètres, que je l'entends me dire :

— Viens boire un verre.

Je me retourne, il n'a pas bougé d'un centimètre.

— Quoi ?

— Tu viens de m'envoyer balader alors que je voulais t'aider, tu peux bien venir avec moi, mes potes m'ont lâché.

J'ai envie de lui répondre que non, je n'irais pas boire un verre avec lui, mais le discours qui m'attend si je rentre à cette heure -là est bien pire que d'aller dans un bar avec un mec séduisant. Qui plus est, Lexie à raison, je dois m'amuser !

— À condition que ce soit toi qui paies, dis- je sur un ton plaisantin.

— Seulement si tu prends de l'eau dans ce cas ! répond-il sur le même ton.