L'inconnu et moi

Chapitre 10

Lui

— Tout à intérêt à être prêt pour demain, hurle mon père en sortant de mon bureau.

Demain, c'est la grande soirée où tous les salariés et actionnaires de Crawford Éditions me rencontreront, même si la plupart me connaissent déjà. Mon père a tenu à faire cette réception où il fera ses adieux à toute l'équipe pour me céder la place à la tête de l'entreprise familiale. Pour l'occasion, je dois faire un discours, mais je suis incapable d'écrire plus de deux phrases. Je ne sais pas quoi leur dire à tous ces gens, ils pensent tous que si je deviens PDG, c'est uniquement grâce à mon père et ils n'ont pas tort. Des petits coups donnés à la porte attirent mon attention, je devine que c'est Gloria qui va encore me taper sur le système.

— Entrer !

Bingo ! Gloria entre suivie de près par une jeune femme aux cheveux bleus.

— Je viens te présenter ton assistante, annonce ma belle – mère visiblement lassée de cette nouvelle recrue.

La jeune femme s'avance. Je plisse les yeux. Bordel, c'est la conquête d'Antoine, il a vraiment du culot de la faire engager ici.

— Je suis Mélissa, se présente – t – elle.

— Mélissa, dis – je simplement, vous pourriez sortir une minute, j'ai besoin de parler à Gloria.

Elle s'éclipse rapidement, et je me tourne vers la personne que je méprise au plus haut point.

— Qui s'est chargé de la recruter ?

— Antoine, soupire – t – elle.

— Cette fille ne peut pas être mon assistante, je déclare en me levant.

— Au moins, nous sommes d'accord là – dessus.

Je sors de mon bureau en plantant Gloria ici. Je traverse le couloir et j'entre sans prendre la peine de frapper dans le bureau d'Antoine. Je suis scotché sur le pas de la porte en découvrant Antoine la langue fourrée dans la bouche de cette fille à la chevelure bleue. Je tousse fortement et ils se séparent immédiatement. Mélissa rougit honteuse de se faire prendre en flagrant délit le premier jour. Antoine sourit fier de lui.

— Mélissa, tu peux sortir, nous n'avons plus besoin de toi, affirmais – je sèchement.

Elle s'exécute et jette un dernier regard à Antoine avant de disparaître. Je referme la porte en prenant de grandes inspirations pour tenter de contenir ma colère.

— Je pourrais savoir pourquoi ta nouvelle conquête est devenue mon assistante.

Il hausse les épaules.

— Elle est hautement qualifiée.

— Elle n'a même pas vingt ans, rétorquais– je les, dents serrées.

— Et alors ? Elle est faite pour ce travail, et elle adore ça !

— Mais elle n'a pas fait d'études adéquates, on ne parle pas d'un job d'été Antoine, mais bien de l'assistante de direction ce n'est pas rien, ripostais – je.

Il ne répond pas, il se contente de me fixer, médusé, jamais je ne m'énerve contre lui, mais il ne peut pas donner un emploi à cette fille parce qu'il couche avec elle.

— J'aimerais que tu la renvoies, conclus – je.

— Je ne peux pas, balbutia – t – il, je lui ai déjà fait signer un contrat.

— Je m'en contre fou ! Je ne veux pas d'elle ! Elle a dû t'offrir une chaude nuit torride pour ça, balançais – je en sortant.

Je rejoins mon bureau sur les nerfs. Lorsque j'entre, je remarque immédiatement la présence de Mélissa, mais pas seulement elle, mon bureau est impeccablement rangé. Mes dossiers sont triés par ordre alphabétique et elle m'attend sagement assise, un agenda à la main. Je prends place sur mon fauteuil face à elle, sans savoir quoi faire.

— Je suis venue pour que vous me transmettiez vos prochains rendez – vous pour que je puisse organiser votre emploi du temps, dit – elle d'une petite voix.

Je la regarde avec intention, elle est beaucoup trop jeune !

— C'est Gloria qui tient mon emploi du temps, voyez avec elle.

Elle acquiesce en se levant et en regagnant la porte.

— Mélissa, j'attends qu'elle se retourne pour continuer, pourquoi vouloir travailler ici ?

— J'aime vraiment ce travail.

Quelque chose dans sa façon de répondre me fait tiquer, elle ment, j'en suis convaincu.

— Bien, vous pouvez disposer.

Elle tourne rapidement les talons. Où est – je bien pu rencontrer cette fille ? Elle me cache quelque chose, j'ignore si Antoine est au courant, mais il y a quelque chose de pas très clair. Le ding qui annonce l'arrivée d'un nouveau mail me sort de mes pensées. Mon cœur manque un battement quand le prénom Brook s'affiche sur l'écran de mon ordinateur. Bien entendu, ce n'est qu'un compte – rendu de lecture insignifiant, mais voir son nom me fait toujours cet effet même si je sais que ce n'est pas elle qui m'envoie ces mails. À l'occasion, je devrais d'ailleurs demander qui est cette Brook à mon père. C'est probablement une femme du comité de lecture, seulement, je les ai déjà tous rencontrés il y a quelques mois et aucune Brook ne m'avait été présenté. Je la verrais certainement demain lors de la réception. Je lance le logiciel de traitement de texte depuis mon ordinateur. Je dois finir ce discours aujourd'hui. Demain, je vais avoir beaucoup trop de choses à faire pour m'occuper de ça. Pendant que je bloque sur la page blanche, un nouveau mail provenant de mon assistante arrive.

De : Mélissa assistante de direction chez Crawford Éditions

Objet : Votre discours pour demain

Message :

Monsieur,

Je me suis permis d'écrire votre discours pour demain, je me suis dit que vous n'auriez pas le temps.

Mesdames, messieurs, ami et associés, je me présente, je suis Hugo Crawford le nouveau PDG de Crawford Éditions. Je vais faire bref : en tant que nouveau dirigeant, j'assumerais la conduite de nos aventures entrepreneuriales sur la voie du succès, de la confirmation des étapes déjà franchies de notre déploiement national qui s'est accompagné de la diffusion de nos produits sur un éventail de marché rendu infini par le développement du e – commerce dont je ferais mon cheval de bataille à la tête de cette entreprise. Je vous promets de veiller à notre patrimoine avec la force tranquille d'un dirigeant digne de vous. Merci à vous.

Je souris comme un imbécile devant ce mail, c'est parfait ! Le problème du discours est résolu, je vais peut – être la garder cette petite finalement.