J'ai un peu tourné autour du thème, j'avoue ne pas avoir été très à l'aise avec lui... donc forcément, je suis retombé dans ce que je sais le mieux faire : un narrateur interne ! J'espère que vous apprécierez tout de même ><
Etre un loup, ce n'est pas aussi facile que les humains peuvent le croire. Il est vrai que nous ne nous prenons pas la tête pendant des années à essayer de trouver quel métier nous paraîtrait être le moins rébarbatif pour y passer le reste de notre vie. Mais croyez moi, la chasse, même les beaux jours, n'a rien de plus facile.
Beaucoup d'entre nous éprouve du plaisir à chasser. Ce n'est pas mon cas. Les jeux de pistes et d'immobilité lorsque nous étions petits m'amusaient énormément, je l'avoue, mais ils ont pris une toute autre signification quand les adultes nous ont emmené à la chasse pour la première fois. Bien sûr, on ne comprenait pas vraiment ce qui se passait. On était juste très excité d'avoir enfin le droit de partir avec les « grands » pour, nous aussi, rendre notre famille fière.
Il n'a pas été difficile de pister le gibier. Et c'était très amusant de se cacher dans les grandes fougères pour l'observer, et se rire de lui, alors qu'il ne remarquait pas les adultes l'encercler sans un bruit. C'était la panique, par contre, lorsque notre chef a bondit sur lui et qu'il a fallu courir. Grognements d'ordres brefs, hurlements de joie à l'odeur du sang, je n'ai fais que suivre le mouvement général sans chercher à comprendre ce qui était en train de se passer.
Même blessé, un cerf peut déployer une énergie monstrueuse pour tenter de fuir et sauver sa vie. J'en ai fait l'expérience douloureuse, alors que, épuisé, un camarade lui donnait le coup de grâce, des kilomètres de course plus tard. Les jeunes loups de mon âge, bien que fatigués eux aussi, salivaient d'envie face à la proie enfin à terre. Mais pas moi. Je n'en pouvais plus de toute cette course, et peinais à reprendre mon souffle, allongé là, le regard fixé droit dans celui du cerf mort. À cet instant, je n'avais qu'une seule pensée en tête : « le pauvre ».
Jamais je n'ai parlé de cette simple phrase à qui que ce soit. Personne, dans la meute, n'aurait été de mon avis. Les autres races sont soit des ennemis dangereux, soit des proies. Nos aînés nous l'avaient rabâchés tant de fois, mais pourtant, je ne pouvais m'empêcher de prendre mon repas en pitié.
C'est facile, quand on est louveteau : les adultes nous donne directement des morceaux de viandes, nous n'avons même pas besoin de nous approcher de la carcasse pour être nourrit. Mais je n'étais plus un petit à présent. Et je n'oublierais jamais cette culpabilité pesante qui alourdissait notre butin lorsque j'ai aidé à la porter jusqu'au camp.
Ma première expérience de chasse fut donc plutôt choquante pour moi. Et ce qui est horrible, c'est qu'à peine remit de ce choc, j'ai du recommencer. La chasse, chez les loups, est quotidienne. Pour une meute aussi grande que la notre, avec d'aussi nombreux petits, il est nécessaire de rapporter de la viande fraîche tous les soirs.
Alors j'ai courus. J'ai courus encore et encore, de plus en plus vite, pour tenter de mordre les proies qui s'échappaient toujours devant moi. Bien que j'en ais eu plus d'une fois l'occasion, jamais je n'ai pu me résigner à chiquer une patte ou éventrer un corps. Les reproches de mes semblables n'ont pas tardé à pleuvoir, évidement. Et très vite, ils ne se souciaient plus de moi. Ils me laissaient simplement courir, faire semblant, pour montrer aux plus jeunes, et m'éloigner pour laisser ma place. Si on ne se moquait pas de moi, on m'ignorait. Au camp, j'étais seul. Et personne ne cherchait à me comprendre. J'étais vraiment inutile pour eux, aussi, je comprends pourquoi personne ne m'a cherché après l'accident. Car aujourd'hui, je ne fais plus partit de cette meute. Aujourd'hui, je n'ai plus à chasser pour me nourrir. Mais ce luxe immense ne m'a pas été donné de si bonne grâce.
Comme chaque jour, nous chassions. Un élan cette fois ci. Le vieux mâle était coriace, et nous avait entraîné à sa suite dans une partie de la forêt que nous ne connaissions que très peu, car à la limite d'un autre territoire. Il pleuvait, beaucoup, et ces trombes d'eaux transformaient le sol en une gadoue pâteuse et collante qui nous empêchait de courir normalement.
Plus malin qu'il ne le paraissait, l'élan nous guida jusqu'à un cour d'eau, qu'il traversa sans un regard en arrière, peu gêné par le courant. Pour nous autres, loups, incapable de nager, c'était catastrophique. Faire autant de kilomètres pour perdre aussi bêtement une proie de cette taille ? Hors de question. Et c'est la ténacité de notre race qui a bien faillit me tuer.
Certains trouvèrent un passage soi-disant plus sûr. Deux s'y risquèrent, et malgré quelques difficultés, parvinrent à traverser. Puis ce fut mon tour. L'eau était moins haute à cet endroit, mais le courant toujours aussi fort. Et les nombreuses pierres au fond de la rivière, lissées par l'eau, se cognaient dans mes pattes à chaque pas. Derrière moi, les autres me pressaient. Mais je ne cessais de me blesser contre les rochers, et m'embourber dans le sol détrempé. L'eau entrait dans mes narines au moindre trébuchement, me faisant tousser et peiner à respirer.
Le hurlement d'alerte d'un camarade sur la berge fut lancé trop tard pour que je ne puisse réagir. A peine eu-je le temps de tourner la tête que déjà, l'énorme branche d'arbre était sur moi. Le choque contre mon cou fut si violent que je ne pu rien faire d'autre que couler, couinement de douleur laissant tout le loisir à l'eau de la rivière de s'engouffrer dans mes poumons.
L'eau était partout. Mes pattes endolories tentaient vainement de s'accrocher à la branche, mais je m'affaiblissais de seconde en seconde. Tout autour de moi était froid. L'air beaucoup trop rare, et la peur s'emparait de moi et y régnait en maître. Une nouvelle tentative pour respirer, puis ce fut le noir. Je ne sais pas combien de temps je suis resté inconscient, à me noyer ainsi, emporté par le courant. Mais lorsque je me suis réveillé, douleur dans la poitrine, toussant et crachant plus d'eau que je n'en avais jamais bue, j'étais toujours en vie.
Ce simple constat m'a semblé être un miracle. En vie. Après une noyade pareille. Jamais je n'avais entendu de récit d'un loup survivant à une noyade. Depuis toujours, l'eau était synonyme de mort pour les nôtres. Et pourtant, j'étais bien là, trempé, tremblant, allongé sans force sur le bord d'une rivière qui avait bien faillit m'ôter la vie.
Et, se tenant là face à moi, mes yeux incrédules contemplaient la ville. Humaine, grouillante, elle commençait juste ici, à quelques mètres de moi. Comme si le courant m'avait laissé à sa porte.
Alors, fatigué, encore faible de ma bataille contre la mort, j'ai abandonné ma forme animale pour ma forme humaine, ne gardant comme preuve de mon appartenance à ma race qu'une paire d'oreille animale perdue dans mes cheveux. Et j'ai couru.
J'ai laissé derrière moi cette vie de chasses et de tueries qui ne me convenait pas. Pour tout recommencer. Comme si toute cette eau m'avait libérée de mes attaches, lavée de mes erreurs, pardonnée pour mes travers, je suis devenu quelqu'un d'autre. Je suis né à nouveau ce jour là.
Désormais, on ne m'appelle plus en hurlant ou par brefs grognements bestiaux. Le nom que l'on m'avait donné à ma première naissance, simple formalité pour les mêmes de notre peuple, sonne toujours aussi beau dans les voix des humains. Aussi, c'est pour cela que je suis fier de vous le dire. J'ai un nom, je suis vivant, je suis Kaerin.
End(less)
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Impr'Octobre
RandomSur une idée original de @MelesBadger. Un dérivé du Ink'October où les artistes présentent un dessin par jour, voici un exercice adapté aux écrivains avec un défi de produire un texte de minimum 500 mots par jour. Les thèmes pour l'inspiration sont...