Chapitre V

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Prise de panique, elle se rua sur sa porte, chassa de sa main le papillon qui s'envola aussitôt, fourra la clef dans la serrure, tourna deux tours à toute vitesse et se glissa à l'intérieur avant de claquer la porte et fermer le verrou à double tours.

En sueur et tremblante de peur, elle regarda au travers de l'œillet pour voir qui en avait après elle. Elle entendait clairement les pas se rapprocher, et disparaitre en même temps que la lumière du couloir s'éteint.

Sa pupille dilatée espérait pouvoir percer les ténèbres et une longue et interminable minute s'écoula avant que le bruit de pas de reprenne, cette fois pour faire le chemin inverse.

Elle soupira bruyamment, et se laisser tomber au pied de sa porte, ses mains posées contre son cœur. La peur lui avait tant retourné l'estomac qu'elle eut l'espace d'un instant envie de rendre, mais cela lui passa au fur et à mesure que son cœur reprenait un rythme normal.

Elle se releva tant bien que mal et se passa de l'eau sur le visage tout en expirant l'air de ses poumons. Elle déshabilla pour enfiler une tenue plus confortable et attrapa un verre dans cuisine, bien décidée à prendre une de ses pilules.

Elle s'installa sur le canapé en espérant qu'elle fasse rapidement effet et, pour ne pas entendre le silence, alluma la télévision. Encore sous le choc de sa mésaventure, elle essaya de se détendre en ne pensant à rien d'autre que les images qui défilaient sur son poste de télévision.

Cependant, ses pensées se bousculaient dans tous les sens, prenaient des chemins sinueux et des raccourcis où se mélangeaient le Père Alexandre, Chiara, son rendez-vous avec Ernest, le mot écrit par le turc et le papillon de nuit.

Au bout de quelques minutes, sa respiration se fit plus lente, plus profonde. Elle s'allongea, déposant sa tête sur un coussin. Elle se sentait mieux. Ses yeux se fermaient et s'ouvraient de plus en plus vite car elle avait du mal à les garder ouverts. Elle pensa que ses pilules étaient miraculeuses et était heureuse qu'au moins une chose fonctionne normalement dans sa vie. C'était si inespéré qu'elle en fut immédiatement reconnaissante et elle posa alors ses yeux lourds sur le crucifix avant de faire une courte prière.

Elle cligna des yeux. « Je vous salue Marie pleine de Grâces ; le Seigneur est avec vous... ». Elle cligna à nouveau. « Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus le fruit de vos entrailles est béni, » Ses yeux étaient de plus en plus lourds, ils se fermèrent, mais elle parvint à les tenir ouverts pour finir. « Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. » Les yeux clos elle ajouta à voix basse « Amen ».

Lorsqu'elle les rouvrit, le choc la paralysa. Le crucifix était à l'envers.

Elle sentit s'hérisser tous les poils de son corps et se redressa vivement pour regarder autour d'elle. Sa respiration sporadique couvrait le bruit de fond de la télévision. « Calme-toi...calme-toi... il doit être dévissé... ».

Fébrile, elle se leva du canapé et mis un pied devant l'autre pour atteindre le crucifix. Effectivement, il n'était accroché que par une petite vis en son centre et elle réussit à le remettre en position normale sans problème. Afin d'éviter qu'il recommence à basculer, il enfonça un peu plus le clou en cognant dessus du plat de sa main. Cette fois, elle ne put empêcher de songer à sa mère et à ce qu'elle aurait fait dans cette situation. Elle aurait sans doute hurlé et aurait alors alerter son père qui, fou de rage, l'aurait cogné pour lui faire expier ses fautes. Ensuite, un exorcisme aurait eu lieu, pratiqué par le Père Alexandre et son regard sadique. Tout ça à cause d'un pauvre crucifix mal vissé.

Un bruit sourd provenant de sa chambre la fit sursauter. Quelque chose était tombé lourdement sur le sol.

Les battements de son cœur s'intensifièrent.

A chaque pas, elle sentait s'étendre ses peurs. D'une démarche raide elle parvint jusqu'à sa chambre et lorsqu'elle alluma la lumière, son cœur cessa de battre. Sa Bible, habituellement rangée dans le tiroir de sa table de chevet, gisait sur le sol, ouverte et allégée de plusieurs pages, toutes déchiquetées.

« Non ! Ce n'est pas... »

Des larmes roulèrent sur ses joues tandis qu'elle était tétanisée devant cette vision d'horreur.

« Ce n'est pas possible ! Seigneur... »

Elle voulait s'enfuir, hurler, mais la peur la paralysait. Elle parvint à reculer en direction du couloir, ses yeux exorbités fixant sa Bible déchirée et joignit les paumes de ses mains et les serras si forts qu'elle ressentit une douleur intense jusqu'aux extrémités de ses doigts.

« Nous vous louons, ô Dieu ! Nous vous bénissons Seigneur... »

La lumière se mit à clignoter frénétiquement et un vent froid l'obligea à se plaquer contre le mur du couloir. « Toute la Terre vous adore, ô Père éternel ! » dit-elle en élevant la voix. L'atmosphère était si oppressante qu'elle l'obligea presque à courber le dos, mais elle lutta de toutes ses forces pour se maintenir debout. La lumière finit par s'éteindre. Elle ferma les yeux, rapprocha ses mains de son visage et reprit son incantation en poussant sur ses cordes vocales.

« Tous les Anges, les Cieux et toutes les Puissances, Les chérubins et les Séraphins s'écrient sans cesse devant Vous... ».

C'était trop dur, elle tomba sur ses deux genoux sous la pression de l'air. Elle entendit du bruit dans le salon, puis la télévision s'éteint elle aussi.

« Saint ! Saint ! Saint ! Est le Seigneur, le Dieu des Armées. Les Cieux et la terre sont plein de la majesté de Votre Gloire, l'illustre chœur des Apôtres, la vénérable multitude de Prophètes, l'éclatante armée des Martyrs célèbrent vos louanges... »

Les murs, le plancher et les lustres se mirent à trembler, ou du moins, c'était la sensation qu'elle avait. C'était fait, elle allait payer pour s'être enfuit de son Eglise, elle devait payer pour ses péchés, pour n'avoir pas cru aux paroles du Père Alexandre lorsqu'il disait qu'elle était habitée par le démon.

« L'Eglise Sainte publie vos grandeurs dans toute l'étendue de l'univers, ô Père dont la Majesté est infinie ! Elle adore également Votre Fils Unique et Véritable ; ô Christ ! Vous êtes le Roi de Gloire, Vous êtes le Fils éternel du Père... »

« Daignez Seigneur, en ce jour, nous préserver du péché. »

Ou bien, elle était folle, oui, cette secte l'avait rendue folle et voici qu'elle hallucinait.

« Ayez pitié de nous, Seigneur, Ayez pitié de nous. »

Elle pleurait à chaudes larmes et avait du mal à articuler, mais il fallait qu'elle continue, qu'elle se batte contre ce mal qui la rongeait, ou bien contre elle-même. Elle n'avait pas le choix.

« Que votre miséricorde, Seigneur, se répande sur nous, selon l'espérance que nous avons mise en vous, c'est en Vous Seigneur, que j'ai espéré, je ne serai pas confondu à jamais... »

Elle ouvrit les yeux. Tout était éteint, il n'y avait aucun bruit. Elle remarqua que l'air était moins dense, comme si sa prière avait eu finalement un quelconque effet.

Elle tremblait de toute son âme mais s'arma de courage, se signa de la croix, et marcha à pas lents jusqu'au salon.

Sur sa table basse, un livre gigantesque était ouvert. Les pages étaient jaunies et la couverture en cuir était cornée dans les coins. Une odeur de goudron martela ses narines et lorsqu'elle tourna ses yeux rougis en direction du crucifix, ce dernier pointait de nouveau vers le bas.

Paradoxalement, elle fut à la fois terrifiée et intriguée par ce livre étrange. A pas comptés, elle s'approcha pour y lire ce qu'il y était inscrit.

A l'encre rouge, telle du sang séché, était écrit : Maria Victoria Leister, Jeudi quatorze mai 2015.

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Celui qui toujours nieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant