Les petits bras du bébé s'agitaient sous l'oreiller tandis que sa respiration altérée par ses hurlements devenait presque douloureuse aux oreilles de la jeune femme. Plaqué contre son visage comme par une main invisible, le coussin semblait peser dix fois son poids. Victoria se rua sur lui et le retira de l'enfant qui ne cessait de pleurer.
« Est-ce moi qui est posé ce coussin sur lui ? Comment ai-je pu... »
Elle prit Sacha dans ses bras et le plaqua contre son sein avec force. Elle percevait le rythme cardiaque accéléré du nourrisson mêlé au sien et écouta avec attention la vie battre en lui.
- Tout va bien Sacha... je suis là. Je suis là....
Tout en le berçant, elle cherchait dans ses souvenirs le moment où son geste aurait pu être fatal à ce petit être, mais elle eut la sensation dérangeante d'être face à trou noir, le même qui semblait avoir engloutit le reste de sa mémoire.
Sacha gémissait encore, évacuait quelques sanglots, mais était déjà plus calme. Victoria, quant à elle, ne l'était pas du tout.
« Charlène n'aurait jamais dû me le confier. Je suis... dangereuse. »
Il lui fallut faire un effort monumental pour ne pas céder à la panique mais ses jambes s'évanouissaient sous son poids, son thorax était compressé et elle ne pouvait réprimer quelques tremblements qui lui firent l'effet d'électrochocs. Néanmoins, elle demeurait debout, Sacha dans ses bras, et attendit patiemment qu'il soit véritablement calme pour le recoucher sur son lit. Ne sachant que faire, elle tournait en rond dans sa chambre tout en se mordant les lèvres, sans quitter des yeux le bébé.
« Pourquoi aurais-je fait ça ? Il n'a pas pu poser ce coussin lui-même ! »
Epuisée, elle s'assit au bord du lit, face au corps étendu de Sacha.
« Je suis en train de devenir folle. »
Cette pensée sonna comme une évidence. Depuis son « éveil », elle avait réfuté sans cesse cette hypothèse, mais, plus elle y songeait, plus cela paraissait être la seule explication valable à son comportement.
« A quoi reconnait-on la folie ? »
Etait-elle réellement amnésique ou était-elle simplement inconsciente de son quotidien à cause d'une maladie mentale qu'elle n'aurait pas su identifier jusqu'à lors ? Et qu'en était-il de ces visions, de ces moments de rupture où son cerveau semblait déconnecté du réel ? Après tout, cela était peut-être héréditaire. Ses parents n'étaient pas le meilleur exemple de gens saint d'esprit. Leur Eglise leur interdisant tout recours à la médecine, au moins l'un d'entre eux aurait pu être atteint sans que quiconque ne s'en rende compte, pas même eux.
Mais elle, s'en apercevait. Elle pensa que c'était peut-être à cela que l'on reconnaissait la folie. Un fou pouvait-il être conscient d'être fou ?
Peut-être. Il existait certainement des déments, conscients d'être malades aux yeux de leur psychiatre et plus globalement, aux yeux de la société. Ce n'est qu'en côtoyant autrui que l'on prend conscience de ce que l'on est. Ces gens n'étaient pourtant pas tous dépourvus d'une certaine logique dans leur démence, ni d'une certaine cohérence à l'intérieur de leur esprit. Seulement, cette cohérence ne l'était pas en regard de la grande majorité qui définissait la norme.
Depuis sa naissance, Victoria ne faisait pas partie de la norme. A l'heure où les libertés individuelles étaient à leur paroxysme, elle avait vécu dans le totalitarisme sectaire de sa cellule familiale. Et au sein de sectarisme, elle s'était toujours sentie différente, comme si l'emprise de l'Eglise n'avait pu réussir à l'emprisonner totalement. Elle observait souvent les fidèles, si bien qu'elle parvenait à reproduire aisément leurs sourires béats qui apparaissaient sur leurs visages ternes lorsque Père Alexandre leur promettait la Vie Eternelle, comme elle mimait avec excellence une colère et un dégoût exagéré pour Satan et ses œuvres, mais en réalité, elle ne ressentait rien de tout cela. Ni béatitude, ni colère, les sentiments factices de la secte passaient à travers elle sans jamais l'atteindre. Elle culpabilisait parfois de son manque d'enthousiasme, dont l'amalgame avec un manque de foi était facile, mais elle savait pertinemment que cela faisait toute la différence entre elle et les autres membres de l'Eglise.
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Celui qui toujours nie
ParanormalOn dit que lorsque la Terre effectue sa rotation quotidienne, il est une heure à laquelle les ténèbres ne sont soumises qu'à leurs propres lois. Mieux vaut, à cette heure-ci, dormir et laisser son âme s'aérer de son enveloppe charnelle, car, c'est l...