Aux premières lueurs de l'aube, le ciel se teinta d'une lumière mordorée qui transperça d'une douce clarté les volets mi-clos de l'appartement de Victoria.
Sur la table, des carcasses de volaille, des coquilles d'huîtres et autres carapaces de crustacés gisaient dans des assiettes entassées. Çà et là, les cadavres suintants de bougies consumées dont les émanations de cire encensaient la pièce étaient encore fumantes.
L'ami était là, tapi dans l'ombre, assis sur la même chaise, immobile. Son visage, entouré de ce qui ressemblait à une longue chevelure noire, était dissimulé par la pénombre.
De son canapé, Victoria l'observait avec crainte et fascination. Des questions par dizaines se bousculaient dans son esprit, mais elle n'osait rompre le silence presque complice qui s'était instauré entre eux, de peur que son ami ne disparaisse.
- Quel est ton nom ? Osa-t-elle finalement.
Elle retenait son souffle car elle était terrifiée par l'issue de cette question. Voyant qu'il ne bougeait pas d'un pouce, elle jeta un coup d'œil furtif en direction du crucifix sur le mur. Il était à l'endroit. Mais cela ne la rassurait pas vraiment.
- Nomme-moi comme il te plaira et je répondrai.
Cette voix émanant de l'ombre était si profonde et attirante qu'elle transportait Victoria, au-delà de toute dimension, comme si elle se trouvait sur l'horizon d'un trou noir dont il était la singularité.
- Dois-je... dois-je avoir peur de toi ?
Le silence pour réponse. Il sembla durer une éternité et Victoria ne put refreiner quelques soubresauts d'angoisse.
- Il est trop tard pour avoir peur, Victoria.
Pourtant, la peur était bien là. Elle encerclait son corps comme un bloc de glace et transperçait son cœur de ses aiguilles aiguisée. Cet homme dans son salon, semblable à une statue de cire, n'était pas humain. Elle le savait, sans en être certaine. Etait-ce encore un rêve ? Le fruit d'une folie bien plus profonde qu'elle ne saurait l'admettre ? Pourquoi était-il venu à elle ? Pourquoi elle...
Elle l'entendit respirer profondément. D'un geste lent, et avec élégance, il se leva de sa chaise. Il était très grand, mince et vêtu de vêtements noir. Victoria baissa aussitôt les yeux. Elle ne voulait pas le voir, de peur d'apprendre la terrible vérité. Les chaussures carmin s'approchèrent d'elle à pas comptés et s'immobilisèrent sous son regard figé.
Là encore, la main de l'ami entra dans son champ de vision pour venir se poser délicatement sous son menton. Ce contact l'électrisa et elle ferma les yeux lorsqu'elle sentit son menton se redresser.
- Tu réclamais ma présence. Susurra-t-il, répondant ainsi à ses interrogations.
Le cœur battant, le souffle court, Victoria se contenta d'acquiescer docilement.
- Mais... pourquoi ?
Les yeux fermés avec force, elle sentit le doigt de son ami lui effleurer les lèvres. Un geste d'une douce violence qui attisa une flamme de désir et de crainte au plus profond de son âme. Elle repensa au comportement étrange de Chiara, à ce même geste qui avait exalté ses sens.
- Regarde-moi. Murmura-t-il.
Son cœur cessa de battre. Cette fois, elle était terrifiée. Elle revoyait ce visage infernal, déformé par un sourire suintant la démence et un frisson d'angoisse lui hérissa les poils de son dos. La main de son ami se retira alors et l'absence de contact se trouva être plus désagréable encore. Elle rassembla tout ce qu'elle possédait de courage, s'attendant au pire, et ouvrit les yeux. Les chaussures carmin n'avaient pas bougé, les longues jambes habillées de noir se dressaient devant elle. Elle déglutit avec difficulté en parcourant du regard son buste où des cheveux noirs, ondulés et soyeux cascadaient sur ses larges épaules et enfin elle vit, le visage de Celui qui toujours nie.
Elle se raidit, les yeux exorbités car jamais auparavant elle n'avait vu pareille beauté. Une effrayante beauté qui la foudroya sur place, lui coupa le souffle et lui arracha des larmes de piété. Elle ne savait quoi dire, ni quoi faire devant cette vision irréelle, comme un mirage que son cœur aurait créé de toute pièce. Elle ne pouvait qu'y croire, mais sa raison doutait. Ses sens la trahissaient-ils donc ? Elle pouvait le voir, sentir le contact de sa peau, entendre sa voix, et pourtant... Un être aussi parfait pouvait-il prétendre exister ? Des sentiments contradictoires lui transpercèrent le cœur, le bonheur et l'horreur se confondaient, le temps était suspendu. Elle eut la sensation que l'espace d'un instant, son cœur et son âme lui intimaient l'ordre de se prosterner devant cet être à la beauté surnaturelle.
A côté de lui, tout semblait fade et terne car il était porteur d'une lumière égale à celle de l'aube qui luisant à l'instant T sur son visage céleste.
Céleste. Voilà un nom qui lui seyait à merveille.
Comme s'il avait pu lire dans ses pensées, il s'inclina devant elle avec l'élégance et la grâce d'un prince tandis que Victoria ne pouvait décrocher son regard larmoyant et implorant de lui.
- Es-tu... un ange ? Bredouilla-t-elle haletante.
Devant ce qui pouvait se rapprocher d'un compliment, le merveilleux visage demeura impassible.
- Non, Victoria. Comme toi, j'éprouve et je raisonne.
Elle avait beau boire ses paroles, leur sens lui échappait. Sous entendait-il qu'un ange ne soit capable d'aimer ? Pourtant n'était-ce pas le propre de leur existence, l'amour ?
Qu'importe. Son cœur à elle était sur le point de déborder de cet amour inconditionnel que seuls ceux qui avaientt la foi en connaissaient l'essence. S'il n'était pas un ange, alors il était un dieu. Il ne pouvait y avoir qu'un dieu pour inspirer autant d'amour et de crainte, d'en faire une alchimie équilibrée, parfaite.
Devant l'incompréhension de la jeune femme, il afficha un sourire amusé. Tel un papillon de nuit, Victoria était naïve et fragile.
Aussitôt, son sourire se dissipa. Son expression redevint sombre et lointaine et il se mit à marcher lentement, faisant résonner ses talons sur le parquet.
- Tu ne poses pas les bonnes questions Victoria. Me demanderas-tu un jour, pourquoi, tu me réclamais ?
Ebranlée par cette remarque pertinente elle s'avoua qu'en réalité, elle n'était plus certaine de vouloir connaitre la vérité. Depuis ce jour où elle avait pris conscience d'un bouleversement dans la monotonie de sa vie, elle était convaincue qu'une chose terrible avait entamé un profond changement en elle.
- Souviens-toi, Victoria. Cette nuit où tout a commencé.
- La nuit du quatorze mai...
Il hocha la tête tout en continuant sa marche.
Elle fronça les sourcils. Cherchait au fond de sa mémoire, mais, mis à part la vision floue de leur rencontre, rien ne parvenait à remonter le fil de ses souvenirs.
- Je, je ne sais pas... je n'arrive pas. J'ai tout oublié. J'avais rendez-vous, avec Ernest, mais... il n'est pas venu...
- Tu finiras par voir de tes propres yeux, la vérité nue. Prend l'enveloppe que ton amie t'a apportée. Accepte son invitation.
Il lui tendait la dite enveloppe du bout de ses longs doigts et la jeune femme la prit avec précaution. Elle déchira lentement le cachet et y découvrit un carton d'invitation, soigné et arborant une élégante calligraphie. Chiara l'invitait à son anniversaire. Une légère angoisse s'immisça en elle, formant un poids sur son estomac. Elle allait certainement revoir Ernest. Comment pourrait-elle se tenir devant lui après l'humiliation qu'elle avait subie lors de leur rendez-vous ?
Celui qui toujours nie tourna les talons et s'avança d'un pas léger jusqu'à l'entrebâillement de la porte du salon.
- Céleste ! L'interpella Victoria.
Il s'immobilisa, répondant ainsi à ce nouveau nom.
- Tu reviendras ?
Dos à elle, il tourna légèrement son visage esquissant un profil digne d'une divinité grecque. Il inclina légèrement la tête en fermant les yeux en signe de réponse.
Il fit un pas, puis deux qui résonnèrent sur le parquet, passa la porte et plongea la pièce dans un silence lourd et glacial. Le bruit de ses pas se volatilisa, laissant Victoria seule et endormie.
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Celui qui toujours nie
ParanormalOn dit que lorsque la Terre effectue sa rotation quotidienne, il est une heure à laquelle les ténèbres ne sont soumises qu'à leurs propres lois. Mieux vaut, à cette heure-ci, dormir et laisser son âme s'aérer de son enveloppe charnelle, car, c'est l...