Chapitre XI

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La rame de métro s'arrêta à la station de la gare Saint Charles. Assis sur l'un des sièges orange du wagon, Le professeur Abdallah fit un dernier sourire à la petite fille assise en face de lui et se leva pour suivre la foule qui sortait sur le quai. Il marcha, d'un pas léger, jusqu'aux escalators où il se laissa porter par le mécanisme tout en permettant aux plus pressés, qui grimpaient deux à deux les marches mouvantes, de le dépasser. Habitué aux stations de métro du monde entier, il dut reconnaitre que les stations marseillaises, moins bondées et moins bruyantes, étaient beaucoup plus tranquilles. Il gravit sereinement les escalators jusqu'à la gare ferroviaire où, cette fois, l'agitation était plus dense et sortit par les grandes portes vitrées, à travers lesquelles le soleil brulant de l'été s'infiltrait. Il descendit les marches du grand escalier de la gare, son éternelle mallette à la main, et croisa le regard de quelques vieilles femmes berbères assises sur les marches, arborant des tatouages sur le front et le menton, ultimes vestiges de traditions qui s'éteindraient avec elles. Le monde allait trop vite pour s'attarder sur de tels folklores, mais Abdallah aimait prendre le temps d'apprécier la diversité du paysage. C'était ce qu'il appréciait particulièrement à Marseille, car chaque individu, chaque parole chantante, chaque paysage, était une invitation au voyage.

Derrière ses lunettes un peu trop grandes, Abdallah admirait les rues bruyantes et animées de la cité phocéenne. Il entama la descente du boulevard d'Athènes, embouteillé, cerné d'immeubles marseillais à l'allure Haussmannienne et tourna instinctivement sur sa gauche, gagnant ainsi le boulevard de la Liberté. Il s'arrêta devant le numéro 7, un immeuble coquet, dont la façade venait d'être rénovée récemment et qui contrastait entre les bâtiments mitoyens dont les murs étaient grisâtres. Quelques plantes vertes étaient accrochées aux fenêtres du premier étage, mais toutes celles du rez-de-chaussée avaient depuis longtemps fané. Il demeura immobile quelques instants devant les volets fermés et prit une longue et lente inspiration. Son poing serra la poignée de sa mallette, comme pour se donner du courage, car ce qu'il s'apprêtait à voir et entendre, peu de gens seraient en mesure de le concevoir.

Il s'approcha de la sonnette, se souvint qu'il s'agissait de celle dont le nom était manquant. Il attendit quelques instants que la sonnerie retentisse et s'engouffra dans le hall, dont les odeurs de tabac froid et de poussière le prirent à la gorge. Au rez-de-chaussée, devant une petite porte qui ressemblait à celle d'un placard, l'attendait un homme d'âge mûr, au teint mate et à la barbe noire et touffue.

- Bonjour Mehmet. Lança Abdallah dans sa direction.

- Professeur.

Mehmet était peu bavard et ne s'attardait jamais sur les salutations. Abdallah savait que c'était en partie à cause de son français médiocre.

Mehmet lui fit signe d'entrer. A peine eu-t-il franchit le seuil de la porte qu'une forte odeur de viande grillée lui rappela qu'il n'avait rien mangé depuis la veille. Cela faisait six mois qu'il n'était pas revenu ici, et rien autour de lui ne semblait avoir changé. Les mêmes cadres dorés étaient accrochés au mur, sur lesquels des photos de familles, des vues aériennes d'Ankara, et des cadres, plus grands, où étaient écrits en calligraphie arabe « Il n'y a de dieu qu'Allah et Mohamed est son Messager ».

Ethem, le frère cadet de Mehmet vint à leur rencontre dans le couloir. Il était grand, massif et d'une discrétion presque raffinée qui jurait avec son imposant physique. Il s'avança sagement vers le professeur et lui serra la main sans dire un mot, le regard légèrement baissé.

- Atlan est dans le salon ? demanda Abdallah d'un air soucieux.

Ethem acquiesça brièvement et lui fit signe de le suivre.

Celui qui toujours nieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant