Sa poitrine se soulevait au rythme de sa respiration saccadée, ses yeux valsaient d'un bout à l'autre de la pièce dans laquelle elle se trouvait, mais il lui fallut quelques longues minutes avant de réaliser que cette pièce n'était que sa chambre. Elle était terrifiée, tremblait de toute son âme tandis que son front perlait de sueur. Elle voulut tendre son bras pour allumer sa lampe de chevet mais elle était tétanisée, incapable de bouger, comme si elle venait de passer une centaine d'années dans ce lit. Elle inspecta l'obscurité, distingua un fauteuil, un bureau et une armoire qu'un faible faisceau lumineux provenant de la fenêtre, éclairait. Elle se tranquillisa un peu et sentit ses muscles se renforcer petit à petit, si bien qu'elle put désormais se redresser.
Elle pivota, enleva la couette de ses jambes nues, posa ses pieds sur le sol froid et fit un premier pas hésitant en direction de la porte, puis quelques autres plus stables. Sa chambre donnait sur un couloir qui débouchait sur son salon et elle s'y rendit instinctivement, à pas lents comme si on lui en intimait l'ordre.
Lorsqu'elle alluma la lumière, des nuées de papillons de nuit se mirent à virevolter autour de son lustre. Sans y prêter attention, le regard dans le vide, elle alla s'asseoir sur son canapé et demeura ainsi, sans bouger, jusqu'au lever du soleil.
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Sept heures trente : Le réveil se mit à sonner.
Elle travaillait dans un cabinet dentaire en tant qu'assistante du Dr Barri, un homme d'une cinquantaine d'années peu bavard et perfectionniste. Tous les jours elle ouvrait le cabinet à neuf heures précise, décrochait le standard et allumait l'ordinateur. Elle préparait le café à neuf heures vingt-sept pour qu'il soit encore chaud lorsque le docteur passerait la porte à neuf heures trente tapante.
A dix heures, le premier patient arrivait. Elle remplissait alors son dossier et le faisait patienter dans la salle d'attente le temps que le docteur le reçoive en blouse verte tout en lui tendant une poignée de main molle. Ensuite elle optimisait la salle, installait sur le fauteuil en cuir du papier blanc, arrangeait les outils du dentiste à savoir un miroir, une spatule, une sonde, un lentulo, un racleur et une turbine, et ce, dans un ordre bien précis et sans jamais déroger aux règles d'organisation de son patron, sous peine de devoir par la suite, supporter ses réflexions toute la journée.
Elle prenait sa pause à midi et demi, mangeait sur le pouce ce qu'elle s'était préparé la veille au soir et emballé dans une boite en plastique rouge, puis reprenait à treize heures et enchaînait les patients jusqu'à dix-sept heures trente où elle repartait chez elle en cinq arrêts de métro.
Ce jour-là, elle n'était pas comme à son habitude. Elle arriva en retard, ne prépara point le café à Monsieur Barri qui en fut vraiment contrarié, n'accueilli aucun patient avec le sourire, parla le moins possible et ne mangea rien le midi. Elle évita de répondre aux incessants messages de Chiara, sa meilleure amie, et ne prit même pas la peine de saluer les quelques commerçants de sa rue.
La mine sombre, le regard dans le vague, elle s'assit de nouveau sur son canapé. Elle habitait un petit appartement dans un ancien immeuble marseillais du cinquième arrondissement et subissait en permanence son voisinage. Il y avait Le vieux du premier étage, Monsieur Félix, qui tapait au plafond lorsqu'elle omettait de baisser le volume de la télévision et qui n'hésitez pas à la menacer d'appeler la police pour tapage nocturne à vingt heures du soir. Étrangement, il ne blâmait jamais sa voisine de pallier, Madame Bouaziz, qui passait l'aspirateur à n'importe qu'elle heure du jour ou de la nuit. Quant à la voisine d'à côté, Charlène, en plus de laisser brayer son nourrisson, faisait venir chez elle un homme différent chaque jour et tentait de battre le record des ébat sexuels les plus bruyants. Evidemment les rares périodes de calme étaient gâchées par la mise en marche de l'aspirateur, qui engendrait les pleurs systématiques de l'enfant d'à côté et qu'elle tentait de couvrir en augmentant le volume de sa télévision, obligeant Monsieur Félix à sévir.
Malgré tout, elle demeurait courtoise, polie et était très arrangeante envers ses voisins. Cela pouvait lui arriver de garder le bébé de sa voisine pendant que sa mère s'envoyait en l'air, tout comme elle baissait le volume de la télévision à chaque fois que retentissaient sur le sol les coups de balais du vieux monsieur.
Cette vie pourtant banale était cependant bien plus enviable que son passé. Ayant grandi au sein d'une communauté religieuse reconnue comme sectaire, elle avait passé la majorité de son existence à endurer la pression et les coups, tant de la part de ses parents que du Père Alexandre lui-même. Le Père Alexandre était un homme froid, sévère et sadique. Victoria était persuadée que ce dernier prenait un malin plaisir à corriger les fautes de ses disciples et particulièrement les siens. Depuis l'âge de sept ans, elle était intimement convaincue d'avoir été abusée sexuellement par cet homme, mais le souvenir de cet acte était si confus et insupportable qu'elle avait appris à se persuader qu'il n'avait jamais eu lieu. Cependant, elle avait fait la terrible erreur d'en parler à sa mère et cela lui avait valu une réputation de menteuse et de grande pécheresse au sein de leur Eglise et depuis lors, ses punitions et ses corrections ne cessèrent de devenir toujours plus violentes, toujours plus vicieuses.
Le jour arriva où le châtiment fut si terrible qu'il lui fit oublier non seulement l'horreur qu'elle avait vécu, mais également sa fuite.
Elle s'était réveillée un matin, frigorifiée en pleine rue, ses vêtements maculés de sang, certainement celui d'un porc que le Père Alexandre avait saigné avant de l'y plonger dedans pour pratiquer ses exorcismes.
Cinq ans s'étaient écoulées depuis sans qu'aucun souvenir de cette nuit ne lui reviennent. Elle avait appris à vivre sans, en remerciant Dieu de ne pas lui faire éternellement subir la torture que la mémoire éveille. elle n'avait plus jamais revu ses parents et espérait ne plus avoir à faire à eux. Elle les haïssaient tant que leur mort ne saurait soigner les blessures profondes de son âme. La mort était trop douce pour ces gens, Victoria en était consciente, mais ne pouvait s'empêcher d'éprouver un pieux sentiment de culpabilité lorsqu'elle laissait la haine envahir son cœur.
Malgré sa fuite, ses habitudes sectaires étaient enracinées profondément dans son être et Chiara, la seule personne qu'elle pouvait considérer comme son amie, lui répétait sans cesse qu'elle était "trop coincée" et en décalage total avec la société. Malgré ses efforts pour s'adapter à sa nouvelle vie, elle ne touchait pas à l'alcool, se bouchait presque les oreilles lorsqu'il s'agissait de sexe et s'éloignait de toutes distractions.
Ses yeux bleus s'animèrent jusqu'au crucifix placé au-dessus de sa télévision, rare vestige de son passé.
Elle était perturbée. Elle semblait avoir été réveillée brutalement d'un coma et commença à se rendre compte que sa mémoire avait de nouveau faillie. Elle avait réfléchi toute la journée, avait tenté de se remémorer le déroulement de ces derniers jours, puis de ces dernières semaines et finalement de ces derniers mois. En vain.
Elle se souvenait évidemment de son identité, Maria Victoria Leister, qu'elle aurait bientôt vingt-cinq ans et du nom de ses parents, Edouard et Maria. Elle se souvenait aussi de leur église, de son éducation sectaire, de son travail, de ses voisins, de son numéro de téléphone, de son amie Chiara et d'Ernest, un cousin de Chiara dont elle était éprise secrètement depuis quelques années. Mais rien, absolument rien de son quotidien de ces trois derniers mois ne lui revenait en mémoire.
Après avoir fouillé ses placards, son frigo, son linge sale et son historique de navigation sur son ordinateur portable, elle en conclut qu'elle avait pourtant mené une vie normale. Son frigo était plein, signifiant qu'elle avait fait des courses récemment puisque qu'aucun n'aliment n'était périmé. Son linge sale était quasiment vide et quelques vêtements étaient en train de sécher sur l'étendage. Enfin, son ordinateur lui confia qu'à part quelques recherches banales sur internet ainsi que quelques films regardés en streaming, elle n'avait rien recherché de particulier ou d'étrange. Elle fouilla dans son agenda et s'aperçut que la dernière chose qu'elle y avait écrite remontait au Jeudi quatorze mai, soit trois mois auparavant, jour pour jour. Elle avait l'habitude de tout noter dans cet agenda, y compris ses périodes menstruelles, or, depuis cette fameuse date toutes les pages étaient vides. L'angoisse qui ne cessait de croître depuis son réveil la submergea lorsqu'elle s'attarda à la dite date . Seulement trois lettres y étaient écrites en rouges. R.D.V.
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Celui qui toujours nie
ParanormalOn dit que lorsque la Terre effectue sa rotation quotidienne, il est une heure à laquelle les ténèbres ne sont soumises qu'à leurs propres lois. Mieux vaut, à cette heure-ci, dormir et laisser son âme s'aérer de son enveloppe charnelle, car, c'est l...