L'énième Testament : Un stagiaire en enfer !

Prologue

         Vivre dans la peur. Une belle expérience. Je ne pourrais dire le contraire. Même si je le voulais. Pas parce que je ne sais pas mentir. Croyez moi, je le sais. Ma vie est pavée de mensonges, petits ou grands. J'ai menti à moi-même la moitié de ma vie. L'autre moitié, elle, ne fut guère mieux. Mais la mémoire a cette qualité d'éviter aux enfoirés comme moi de se pendre trop vite quand vient soudain un acquis de conscience. Belle garce que voilà, Hein ? Hoche la tête lecteur, fais semblant de me comprendre à travers mes lignes.
      J'ai toujours vécu dans la peur. Mon enfance, pour commencer, fut bercée par la tendresse de l'alcoolisme de mon père, des cris et des pleurs de ma mère. Et puis des miens,aussi. Parfois je ressens encore la chaleur sur mes joues. Celle de mes larmes, celle de la claque qui venait de me caresser. La peur me rongeait l'estomac et le reste avec. On apprend à l'ignorer. A faire semblant. Puis on grandit, sans avoir vraiment le choix. Ni l'envie.Les peurs se transforment et se font un peu plus psychiques, un peu moins évitables : vais-je réussir à demander à la belle Rebecca de sortir avec moi ? Vais-je réussir à ce contrôle de maths ? Vais-je réussir ma vie ? Ou échouer comme d'autres puis mourir dans la rue, oublié, méprisé ? Bien sûr il y a d'autres peurs intimes que j'ai pu avoir. Que vous avez  vous aussi .Mais, voyez vous, je ne vois que ça pour l'instant. Les coups de mon adversaire doivent jouer. Ils ont sans doute déconnecté une partie de mon cerveau où se cachaient toutes ses conneries sentimentales. Je pourrais le remercier de m'avoir enfin apporté le silence, d'avoir fait taire le chaos de mes pensées. Mais la peur est encore là : celle de perdre ce combat. Je sens mon visage enfler, déjà.
- Crache là-dedans me dit Baphomet en me tendant un seau.
Je m'exécute.De la salive, rouge et au goût de fer trop prononcé s'échoue dedans.
- Bouge plus sur tes jambes gamin, allez !M'encourage un autre. 

         La voix trouve un écho dans mon esprit mais je l'ignore, malgré moi. Je suis trop occupé à regarder le mec qui m'a laminé le visage avec talent et générosité. Sa passion pour distribuer les pains n'est donc pas une légende. Je ricane, souffre. Il est un peu plus grand que moi. Cheveux longs,robe blanche et barbe bien brossée. Couronne d'épine sur le crâne.Le genre de gars fils à papa que j'aurais aimé me farcir à la surface. Juste pour le fun. Juste pour rassasier mon côté prolétaire en manque de lutte des classes dont je ne connais rien. Ou par pur blasphème.

-  Écoute-moi, ne le laisse pas te mettre dans les cordes me souffle Jack. 

        J'ai envie d'applaudir ses conseils. Bientôt il me dira que je dois éviter de recevoir ses coups. Je n'y avais presque pas pensé. Tiens. Il me tend une gourde,me fait boire de l'eau, m'en déverse sur le visage. Ça fait du bien. La cloche sonne un glas ou deux. Je me relève, bien sur mes appuis. La rage au ventre et le reste aussi. Il arrive à ma hauteur,sûr de lui. Qui ne le serait pas quand votre daron est le créateur de toutes choses. Même du sida, de Plus belle la vie et des boys band. Même de mon enfoiré de père. Sa droite cherche mon menton,n'y arrive pas. Mon uppercut, par contre, caresse son foie. Il recule, titube un peu. Ses sourcils se froncent, une colère nouvelle nait dans ses yeux. Elle ne vaut pas la mienne. Je continue d'avancer, d'esquiver dans des pas de côtés rapides. Mes coups portent. Les siens aussi. Le problème c'est que je ne suis pas dopéà la grâce céleste, moi. Son poing s'écrase sur ma tempe droite.L'obscurité se fait. La fraicheur de ses bras chimériques m'accueillent. Je sens mon corps rencontrer le sol froid. J'ai envie d'y rester. Longtemps. L'arbitre chante un décompte. Je me demande comment j'en suis arrivé là. Vous aussi, sûrement. Comment ce gamin, aigri et sans doute porté sur la bouteille, se retrouve à se prendre une raclée par le fils de Dieu en personne ? Vous avez de la chance. Ce sol est confortable. Assez pour que je vous raconte au moins mon histoire.