Chapitre 3

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Lucifer,
7 ème cercle, lac gelé

Responsabledes enfers


Par cette présente lettre vous, stagiaire,prenez connaissance de votre situation.
Nous voulons, tout d'abord, vous souhaitez la bienvenue dans l'entreprise éternelle qu'est l'Enfer, lieu réservé à la souffrance des pécheurs et des âmes perdues de votre monde. Parmi nous, vous apprendrez et expérimenterez ce que le monde professionnel a à offrir. Main dans la main, avec nous, vos pieds se poseront sur les pavés brillants et suintant de la réussite. La seule. L'unique. Celle qui fait fantasmer vos comparses, les fait baver, tuer, tricher. (Je le sais.Je l'ai inventé.)
Mais cela n'est pas une promesse. Vôtre âme nous appartient dorénavant et nous serons seuls juge de votre cas. Une industrie comme la nôtre ne peut, et ne doit, mettre sa confiance dans n'importe qui.
Mais si vous êtes ici, assis sur une chaise, entrain de lire cette lettre devant Virgile qui vous fixe, comme il le fait toujours, c'est que cette confiance est déjà là. Tapie. Il ne tient qu'à vous, stagiaire, de la nourrir et d'accepter la lumière que je vous tend.


Moi, Yronne Lucien, j'affirme avoir lu, compris, cette lettre. Par la signature de sang que j'appose sur cette feuille, je lie mon âme et son destin à cette industrie infernale et éternelle qu'est l'Enfer.*
* aucun retour en arrière n'est possible, ni ne sera accepté**

**si abandon il y a, Lucifer se réserve le droit de faire de vous sonobjet sexuel*** pendant un huitième d'éternité.
*** Par cela,il est entendu tout ce que vous pouvez imaginer, ou non.



Signature :



    
            Je signe. Bien sûr. Quitte à être en enfer, autant être du bon côté du bâton. Ce côté là est, d'ailleurs, le seul bon de ce point de vue. On s'y habitue vite, j'en suis sûr. Après tout c'est dans la nature humaine et dans son histoire. Les cowboys américains, exterminant un peuple et une culture pour repousser toujours ce fantasme de frontière, en sont le parfait exemple. Les esclavagistes et les nazis aussi. Ne sont-ils pas tous la bête ?Celle qui sommeille en chacun de nous ? Mais, je m'égare.Habituez vous. C'est mon récit.
         Comme la Lettre l'avait décrit, Virgile me fixe. Il a maintenant un sourire lorsque je lui tend ce qui me sert de contrat de vie. Ses dents, trop blanches, me fixent à leur tour. Sa voix résonne. Il me demande si j'ai des questions. Une bonne soixantaine, au bas mot, s'entrechoquent dans mon esprit. Aucune ne veut sortir. Égoïstes.
- Bien, bien. Suis-moi, je vais te montrer le secteur où tu es affecté.

           Il se lève, referme le bouton de sa veste de luxe. Ses chaussures, trop bien vernies, glissent sur le sol en direction de ce blanc infini qui me perce les rétines et le peu de cervelle libre qui me reste. Une porte apparaît soudainement. Par magie comme dirait un adulte condescendant à un enfant trop imaginatif.
               La porte se claque derrière nous. Pourtant je ne l'entends pas. Non. Des sonneries de téléphones, des bruits d'imprimantes crachant, recrachant et dégueulant des feuilles occupent tout l'espace sonore disponible. Un gars, aux cheveux grisonnants et aux yeux ternes, crient dans un combiné. Son collègue, en face de lui, savoure la qualité des postillons qu'il reçoit. Virgile continue son chemin sans trop de soucier de moi. Il lève la main, illumine la pièce de ses dents parfaites. Une femme lui répond. Je sens une certaine hypocrisie dans cet échange. Elle est limpide pour les deux interlocuteurs également.
                On traverse cette zone de bureaux ouverts et bondés, pas assez vite à mon goût. Un nouveau couloir nous accueille. Les murs sont tristes. D'un blanc grisant à cause du temps. Cette même couleur trouvable à peu près partout: bureaux, pharmacie, hôpital, cimetière. Celle qui vous donne envie de vous pendre chaque jour à votre boulot et qui est là, sans y être. Churchill aurait sans doute appeler sa dépression « Chien gris/blanc» si il avait connu cette couleur. D'ailleurs, sachez le, elle a été créée en enfer dans le bureau 29 par un gars nommé Pascal Gonht. Un chic type qui n'a que deux meurtres à son actif. Ce qui en fait,dans le coin, un mec assez gentil..
- Pourquoi moi ? Je demande enfin.
            Il ricane. Je plante mon regard dans son dos, entre ses deux omoplates. Sa réponse ne vient pas. On dépasse une porte anonyme que l'on ignore comme les dernières avant elle.
-J'ai pas le droit à un petit tour du propriétaire comme Dante ?
            Virgile s'arrête enfin et se retourne. Sa main puissante me plaque contre le mur. Son avant-bras caresse ma pomme d'Adam, l'écrase plutôt. Ses yeux sont emplis d'une haine profonde.
- Ne dis plus jamais ce nom devant moi ! Enfant de putain !
Je lève un sourcil. Puis deux.
- D'accord....
            Sa prise se relâche puis il accélère le pas. Ma main caresse ma gorge douloureuse. Je crache au sol. J'ai presque failli oublié que l'enfer était pavé d'enfoirés.
- C'est là ? Va voir Jack.
             Son index pointe une porte esseulée au fond du couloir. Il fait sombre et froid. Ce qui, sur le coup, m'étonne. Je comprends à l'attitude de Virgile qu'il souhaite que je continue seul. Tant pis, tant mieux. Son dos me lassait de toute façon. J'avais fini par y imaginer toutes les manières possibles d'y planter un couteau. Je n'en ai trouvé que 32. Je m'avance, presque sûr de moi.


           Porte. Poignée. Main. Équation simple. Résultat simple. Un grincement, long et peu rassurant, m'empêche d'être discret. Des yeux délaissent la tendresse d'écrans d'ordinateurs pour se poser sur moi.
-Bonjour, Virgile m'a dit ...
- Virgile, il aime la bite.
              Un gras,portant des lunettes dévorant ses pommettes, répète cette phrase trois fois d'affilés. Stoïque. La surprise dans mon regard et mon attitude est tout sauf factice. Je baisse les yeux sur sa moustache épaisse qui se remet à bouger:
- Il suce des bites avec son cul le Virgile. Maman dis que ces gens brûlent en enfer pour l'éternité.Maman elle dit aussi que les vagins c'....
              Un gars, tatoué comme un biker, crâne rasé et bouc proéminent, se lève et écrase son poing sur le bureau. Puis hurle.
- Bordel Emile, tu veux pas un peu la fermer ? On sait tous que ta mère se fait tourner dans la boite !

                    Le gras, Emile donc, devient rouge de rage. Une autre voix résonne, beaucoup plus forte et autoritaire. En l'entendant j'ai l'impression d'avoir fait une connerie. Une envie de  m'excuser me prend. Par réflexe d'un bon enfant souhaitant éviter une raclée pour avoir été là au mauvais endroit au mauvais moment.

- Emile, Drake ! Vous allez effrayer le nouveau crâche la nouvelle voix.
- Mais il a insulté Maman Jack !

          Jack l'ignore. Il sait sans doute qu'il se calmera, il sait sans doute aussi que ce complexe d'oedipe ne disparaitra jamais. Au fond, il s'en fout. Ses pas le portent jusqu'à moi. Du haut de son un mètre quatre-vingt, il me surplombe. Des cheveux noirs et coiffés tombent sur ses épaules distinguées. Cet homme appartient à un passé que je n'ai pas connu. Un air londonien transparait dans son sourire. Sa main serre la mienne. Pas trop fort. Je le remercierais presque.
- Lucien.
-Jack. Bienvenue au bureau 237



        J'aimerais faire une énième parenthèse. Une utile cette fois. Cela vous permettra de connaître un peu plus mes collègues de bureau. Ou comme dirait B2OBA :mes « hommes sûrs ». Mettez en fond une musique fort sympathique. Je ne saurais trop vous conseiller une musique tirée des années 80. Quelque chose de caricatural tandis que la caméra, dans un montage ridicule fait de faux sourires et de regard complice jetés à un public inexistant, zoom sur mon équipe. Push it to the limit, par exemple. Une bande son totalement étrange devenue culte dans le film Scarface. Prêts ? Voici donc leurs CV: 


Emile Douise, 49ans.
Passion : sa mère
Premier amour : sa mère
Poste : secrétaire sa mère.
Cause de sa présence en enfer : Dix sept meurtres entre 67 et 79. Principalement des hommes homosexuels qu'il guettait à la sortie des boîtes. A testé le cannibalisme et la nécrophilie. Hésite, encore aujourd'hui, à dire qu'il apprécie cela.
Phrase fétiche : Maman.



Drake Morgan :
Passion : la violence
Premier amour : Sa Chevrolet Impala de 77 couleur noir.
Poste : Représentant.
Cause de sa présence en enfer : Dieu n'aime pas les tatouages, le rock et le fait de découper des auto-stoppeuseà  la machette peu acérée. Drake, n'hésite pas à dire qu'il apprécie le viol de cadavre. Il pose néanmoins le débat :chaud ou froid ? Même si il reste le seul à y participer.
Phrase fétiche : A mon époque, le covoiturage c'était autre chose gamin !



Jack E.
Passion : Le mystère.
Premier amour : Je parie sur la mère d'Emile.
Poste : Responsable secteur possession et rencontre paranormale.
Cause de sa présence en enfer : Drake parie sur le vol d'enjoliveurs, qui selon lui est : « un crime comme la putain de foutue humanité. Tu vois mec ? ».
Phrase fétiche : Ressers moi un verre,on est pas en enfer pour rester sobre. 



La musique touche à sa fin. La présentation aussi. Jack me lâche la main et me présente mon poste. Un ordinateur flambant neuf. Dessus est déjà marqué mon nom. Lucien Y.

L'énième Testament : Un stagiaire en enfer !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant