Chapitre 1

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6H30,le réveil sonne. Debout tête qui bourdonne.



         Je suis éveillé depuis déjà plusieurs minutes, naïf, pensant que le temps va se suspendre pour me laisser un peu de répit et de repos. Il suffit d'occuper mon esprit, de penser, de compter les secondes,de les sentir passer. Distordre le temps, un peu... Certains diraient, en voyant la qualité de mes cernes, que la nuit sert à dormir. Je leur répondrais que la vie sert à vivre. Mais, là, maintenant, tout de suite, je les laisse avoir raison. La migraine que je me tape à cause de la fatigue joue. Énormément. Je grogne puis m'extirpe de ma couette. Mes pieds nus se posent sur un tapis Ikea d'un bleu flashy et aux poils longs. Des feuilles de cours, où se lit une écriture manuscrite rapide et sans doute intéressante pour tout graphologue, sont éparpillées un peu partout. Sous mon pied gauche se trouve, d'ailleurs, la leçon numéro trois partie huit petit b) d'une matière de Littérature étrangère. Je pousse un soupir, baille un peu, cherchant une motivation autre que celle de rester sur mon oreiller à baver. Étonnamment, j'y arrive.

        Il ne me faut que trois pas pour arriver dans la salle de bain spartiate. Pas parce que je fais des grosses foulées. Non. Seulement parce que ma chambre d'étudiant est un dortoir/mouroir de rêves illusoires de 12m2 carré avec superbe vue sur mur d'enceinte. Il est là depuis trop d'années, lui aussi. Je peux sentir l'ennui qui suintent sur le béton, coulant lentement sur sa peinture« gris-industriel » qui fut un jour propre. Devant lui, hormis ma fenêtre, se dessine, à ses pieds, des herbes folles et drues que personnes ne veut tondre. Que tout le monde oublie. Sauf moi. Ma main agresse la poignée et la porte grince.
       Le néon de la salle de bain grésille au dessus de moi, attendant une seconde pleine pour prendre sa décision. Puis, soudain, une lumière blafarde agresse mes yeux. Sans prévenir. Elle taquine ma migraine comme un enfant taquinerait, avec la pointe d'un bâton, un animal mort. Avec le sourire donc. Mes paupières se ferment. Je savoure un peu ce calme qui n'en est jamais vraiment un. Je peux sentir mes tempes, douloureuses, battre. Et ce rythme, ce « tatam tatam » à la mélodie risible, résonne dans mon crâne plombé. Mes mains caressent mon visage.J'ouvre les yeux sur le miroir qui, lui, me renvoi l'image d'un gar sperdu et épuisé. Le reflet m'en veut presque. Je lui promets de ne plus veiller tard. Il n'a même plus la force de me croire.
      La douche est la seule richesse de cette chambre. Ça et les livres que j'amasse sur mes étagères poussiéreuses. Il y a en a des tonnes. Je n'en ai lu que la moitié. Ou le tiers de celle-ci. Je ne sais plus. Mais je les achète, je les prends, les ranges, les laisse trainer dans un ordre personnel qui ressemble à du bordel. Et qui en est, au fond.  Des CDs les accompagnent. Aucun n'est rangé dans la bonne boîte. Par flemme sans doute. Je pose mes yeux dessus, caresse les boîtes en plastique dur. Du Misfits côtoie joyeusement du Gainsbourg, Brel s'accoquine avec AC/DC et Thiefaine, lui, danse joyeusement sur le spleen superbe d'un Joy Division. J'en place un dans ma chaîne hifi. La logique du Pire d'un groupe assez méconnu résonne et caresse les murs en crépit de la pièce. Ma main augmente le volume.
      Je me glisse dans ma douche,referme le rideau aux dessins ridicules et abstraits. Le même rideau que possède la moitié de mes contemporains. L'autre moitié ayant pris,sans doute, la version plus sobre. Chanceux.
          L'eau chaude me réveille, réchauffant mon corps et brûlant mes excès d'hier. Je la laisse couler sur mon âme, sur mes cicatrices et le reste. Mes pensées s'en vont, loin, et flirte avec mon imagination et mes rêves de cette nuit. Je danse presque. Lentement. Bien. Les minutes passent. Beaucoup de minutes. J'avoue être dec eux qui s'évadent sous le jet d'eau et donc de ceux qui gaspillent, gâchent et conduisent le monde vers sa fin sans s'en soucier. Je ne suis  pas original, au fond. Je suis humain. Ma passion: descendre un ravin, le sourire aux lèvres avec des ciseaux dans les mains.
     J'enfile mes converses abimées par le temps et mes ballades. La porte  claque derrière moi. Je vérifie deux fois si elle est bien fermée. Comme ça. Par pur toc. Par peur que l'on me vole le peu de possessions que j'ai réussi à amasser pendant ma belle vie consumériste. Je dépasse les cuisines communes qui sentent des épices lointaines et, sincèrement, peu appétissantes.Des bouteilles de bières vides, où se noient des mégots abandonnées,  jonchent les tables rondes. Des restes de chips, eux, le sol. Le spectacle quotidien de la fête et de la joie. De ce qu'il en reste le lendemain. Je descends ensuite les marches qui font face aux boîtes aux lettres référençant chaque individu par son numéro de chambre  puis pousse la porte,lourde et gelée, du bâtiment. La fraîcheur de la matinée me prend et ne me lâche pas. Un vent, venant d'une direction que je ne saurais définir, souffle sur les feuillages meurtris et caresse ma peau. Je frémis sous ma veste en faux cuir. Mes doigts fins enfoncent des écouteurs bon marchés dans mes oreilles qui se cachent sous ma chevelure épaisse. J'appuie sur play. La chanson I want it all de Queen commence.J'ignore la femme qui fouille les poubelles en compagnie de son enfant puis m'enfonce dans une petite ruelle. Honteux.


            Les paroles me parlent. La voix de Freddy Mercury aussi. Certains devraient écouter les chansons, non comme juste de la pure musique, mais comme des pensées réelles. Une bande son de vie, perpétuelle en somme. Car les films ne sont pas les seules œuvres à avoir ce privilège. Il faut juste choisir et bien. « Entendez les pleurs de la jeunesse .. » murmure Mercury. Je tourne à gauche, m'engouffre dans une longue ligne droite pavée aléatoirement et bordée d'arbres dont j'ignore le nom. Pas la beauté. Je la savoure. Mes pas s'accélèrent quand le mode aléatoire fait son boulot et tombe sur un très bon punk-rock américain. The Menzingers.J'ai soudainement envie de prendre une guitare, d'agresser la touche de mes doigts, de lancer des accords avec puissance et revanche. J'ai surtout envie de crier mon spleen dans un micro. Postillonner mon malêtre et mes rêves maudits. Ceux d'ailleurs, de lointain et de fuite. Avec une femme qui m'aimera comme je l'aime. Une chose à la Brel lorsqu'il pleurait sa Frida. Lorsqu'il maudissait ces gens-là.Comme je les maudis encore.

        Une vibration de ma poche m'empêche d'aller plus loin dans mes réflexions. J'agrippe mon portable, qui comme tout à chacun me sert à tout sauf à téléphoner, puis lit ce qui a osé me couper :« tu es où bordel ? » demande un numéro nommé Adrien. Je regarde l'heure. Je suis en retard. Encore. Toujours. On s'habitue vite à ce principe. Et, au final, c'est le monde qui est avance sur vous. Plus l'inverse. J'accélère un peu.
        Mes doigts pianotent, agiles, sur le clavier tactile. Un « j'arrive » rempli d'éloquence et de promesses qui ne verront jamais la lueur du jour s'inscrit sur l'écran. Dans mes oreilles soufflent une voix :« Je suis prêt à partir pour cet endroit, celui que nous avons découvert il y a une éternité de cela ». Sur ma gauche, un crissement de pneu. Comme un mauvais effet sonore.Je n'ai pas le temps de comprendre, d'anticiper, de me dire que :« merde, j'aurais du regarder avant de traverser ». Non.Je n'ai que le temps de me rendre compte que je vole, que je m'écrase, que mon corps souffre. Mes nerfs, en feux, me tiennent éveillés. Juste le temps de dévisager l'automobiliste, apeuré et dégouté, et sa R5 en ruine qui se moque. Ravie d'avoir tenue jusqu'à ce jour pour finir sur une belle note. J'aurais au moins aimé me faire renverser par quelque chose de plus classe. Une Porsche, une Mustang, une Coccinelle. Mais non. Une Renault R5couleur poussière. Voilà ce que je vaux.
L'homme se penche surmoi, apeuré non par mon état mais par sa connerie. Il sait qu'il risque gros. Je peux voir dans ses yeux un calcul s'effectuer.Combien d'année de prison, d'amende pour la famille et la réparation du par-choc. Il doit arriver à une conclusion sommaire et rapide car ses lèvres s'ouvrent et je comprends qu'il me parle. Mais je n'entends rien. Je le vois reculer à sa voiture, regardant si des témoins se trouvent par là. La chance semble être avec lui, et contre moi, car il ne voit personne et fait claquer sa portière. Il enclenche la marche arrière, qui résiste un peu par présence morale, puis passe à côté de moi en trombe. Je n'ai plus la force d'insulter les cieux, la fatalité et le reste. Je tousse un peu. Du sang éclabousse mon visage perdu dans la contemplation de nuages lointains. La musique dans mes oreilles couvre la scène.Heureusement. J'ai au moins la chance de partir sur une très bonne chanson d'Oasis, qui me nargue, me pointe du doigt et se moque :« Toi et moi, nous allons vivre pour toujours... ». Menteur. Le froid me prend, il est différent. Ce n'est pas un froid hivernal, de ceux qui se contre par une couette et un thé chaud. Non. Des nuances se trouvent à l'intérieur de celui-ci: celle du vide, du rien, de l'absence de quelque chose qui me semble sur le coup important. Mes yeux se ferment. Je meurs. Tant pis.

L'énième Testament : Un stagiaire en enfer !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant