Chapitre 6

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                 Le vortex me recrache à nouveau. Cette fois ci un peu plus tendrement.J'atterris presque sur mes jambes. Les pavés durs me réceptionnent, altruistes. Des badauds me regardent, dédaigneux, tandis que je me relève et époussète ma veste en cuir. Une foule monstre se trouve autour de moi. Elle se dirige, implacable, et se mouve dans un chaos horrible. Des centaines de vagues s'échouant dans les ruelles sombres de cette ville dont j'ignore le nom. Mes yeux dévisagent un peu les immeubles trop grands, trop tout. Un peu comme ceux qui caressent les cieux à la surface, frôlant les nuages dans une arrogance bien humaine. Comme un témoignage muet que l'humanité a un problème avec la taille de ses appareils génitaux. Cette course au plus grand, plus luxueux, plus inutile et cher n'est rien comparé à ce que j'ai devant moi. J'en ai le vertige, rien qu'à m'imaginer regarder par la vitre d'une de ces tours. Rien qu'à imaginer mon être sauter. Mais j'oublie vite cette peur, primale et ridicule que peu de personne peut comprendre sans rire. A la place je m'interroge sur ce plafond sombre où quelques veines rougeoyantes ressortent parfois. Il m'hypnotise. Des coups d'épaules me font tituber, pourtant je ne m'en détache pas. Mes pensées lui sont consacrées. Toutes. Une main se pose sur mon épaule. Je ne la sens qu'une minute après. 




-Lucien ?



             Je reconnais mon prénom. Je reconnais la voix de Jack. On me tire de là. Contre ma volonté. Mes converses piétinent le sol dur. On me bouscule. On ne me regarde même plus. Je ne suis qu'une âme de plus dans ce courant éternel et massif de mort. Je ne suis rien. Juste un gars de plus. On tourne à gauche. Une fraîcheur, semblant venir des murs suintants, me surprend. On tourne à droite. J'ai envie de me poser contre le mur, tranquillement. Mon ventre hurle son envie de ressortir. Ma gorge se contracte. Je m'arrache à l'emprise de Jack, ma main se plaque contre un des murs. Ma gorge se contracte, mes yeux s'emplissent déjà de larmes trop salées à mon goût. Un bruit immonde résonne dans la ruelle tandis que je me vide. Je hais ce terme. Je hais ce tout. Une tape amicale caresse mon dos vouté. 


-Deux vortex en si peu de temps, c'est normal, ne t'inquiète pas souffle t'il.


               De la bave, mélangée à de la bile, coule le long de mes lèvres, achevant sa course contre le sol et la semelle de ma chaussure droite. Je crache le reste en même temps qu'un « putain ». Des rires emplissent le silence étrange de la nuit et de mon esprit. J'essuie mes larmes et le coin de mes lèvres avec ma manche. Sans me soucier de sa douceur, ni de la chronologie de mon geste. Bordel. Je tousse, m'adosse au mur. Jack me tend une cigarette. Un bâton de cancer. Je la prend. Je suis mort de toute façon,et cela enlèvera le goût immonde dans ma bouche. Je me dis cela comme si je cherchais une excuse. Peut être parce que je me rappelle l'odeur de tabac froid qu'accompagnait, comme une ombre acre, la silhouette de mon père. Celle que je cherchais à éviter, à tout pris, en me cachant sous mon lit. Là où je me sentais en sécurité. Là où il me tirait pour me filer la branlée que je méritais. Je tire une latte. Je m'en fous de tout ça. Je suis mort. Je suis éternel. La fumée s'engouffre dans ma gorge encore blessée, elle crame le tout jusqu'à mes poumons. Une toux remonte. Une larme perle. Je me demande pourquoi les gens commencent. Pourquoi ils continuent. Peut être sont ils tout aussi cons que moi. Les pauvres.


- Allons boire un coup, hein ? Je souris un peu. 


       L'alcool m'a toujours fait sourire. Car elle a toujours réduits mes pensées. 





                J'ai failli ricané, deux fois, devant la devanture du rade que Jack me pointe du doigt. Le nom tout d'abord, qui me semble sorti tout droitd'un roman cherchant un nom assez explicite pour faire comprendre quenous trouvons en enfer : « Le Styx ». Ouaip. La seconde chose étant le nain faisant la queue juste devant nous. Je ne sais pas pourquoi,mais ils me font soit peur soit rire. Au fond, j'ai mérité cet enfer. Je crois. 
On arrive devant le videur, qui ressemble un peu trop à celui qui m'a accueilli en enfer. Mon sourire disparaît. Le sien, lui, s'élargi. Il me demande si l'enfer me plait, si ça se passe bien pour moi. Je répond simplement un petit « oui ». Peut être parce que je suis timide. Peut être parce que le gars est à poil et que son gland frotte contre mon jean délavé. Il me dit qu'il bosse ici pour économiser en vue de partir en vacances dans le deuxième cercle. Je ne suis pas étonné. Il me propose aussi de passer le voir. Sa main rouge me tend une carte. « Petr Incubus » Je la prend, poliment.Parce que j'ai envie de boire. Il nous laisse passer, dans le creux de mon oreille il me dit de demander une « Dahlia » et de lui dire que je viens de sa part. Gentil. Très généreux de sa part. Tout comme le début de semence qu'il a étale sur mon Jean. Je soupire. Longtemps. J'hésite à y frotter. Puis je rigole. De moi cette fois. Et, un peu, des cieux qui se foutent de ma gueule encore et toujours.

            Le bar est plongé dans une lumière noire. Les regards plongent sur les nouveaux arrivants. Sur nous donc, si vous suivez bien. Jack salue des gens au loin, Drake se dirige au bar, Emile fait des signes de croix inutiles et hypocrites. Moi ? J'essaie de cacher la tache de foutre, apparente, sur mon froc. Mes yeux s'attardent sur des femmes, des succubes, dansant sur des scènes éclairées .Des cages les enferment, les retiennent et les protégent sans doute de la perversité des spectacteurs. Leurs corps à la peau rouge ondulent sur une musique puissante. Leurs bassins se mouvent, se tordent et invitent au regard et à tout l'implicite que l'on peut déceler dans leurs yeux ingénus. Elles sont aussi belles que la tentation même. Le genre de femme que vous regardez en vous disant ;« tant pis. ». Et, tant pis. J'avance à la suite de Jack qui me hurle des choses que je ne comprend pas. Un très bon « Hell Bent for Leather » passe en fond. Les danseuses se mouvent en rythme, tordant leurs charmes sous le regard avides des clients. Nous sommes dans la ville du péché. Nous sommes le péché.


L'énième Testament : Un stagiaire en enfer !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant