Chapitre 9

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La porte se ferme, derrière moi, dans un grincement plaintif. Je l'ignore et me dirige vers ma table. Une main sur mon épaule me retient. Je me retourne, balance mon poing contre cette nouvelle menace. Drake le réceptionne, comme rien, puis ricane. Son sourire s'élargit devant mon état.

- Tu es tombé dans les escaliers?
- Presque, j'ai rencontré Jésus.

Son sourire s'efface tout doucement. Ses yeux, eux, s'écarquillent dans une grimace sincère. Il se penche, me tenant avec ses mains de travailleur de jour et serial-killer la nuit, puis examine mon front où, au vu de son regard fixe et anxieux, se trouve quelque chose. Une chose qu'il n'aime pas. Je vois Emile, paille dans la bouche, me fixer. Dans sa main, se trouve un mojito à demi-entamé qu'il laisse tomber au sol. Un frisson remonte le long de mon échine.

- Quoi?

Drake me prend le bras, enserrant mon biceps dans une étreinte que je ne peux refuser. Il me traîne parmi la foule, se créant un passage par la force. Des regards haineux se posent sur lui. Il les ignore malgré son envie de faire fondre ses poings sur des nez trop fragiles. Et cette non-volonté de « rentrer dans le lard » me fait comprendre, soudainement, que ce qui se passe n'est pas anodin. Que même ici, en enfer, l'étrange existe et que, par malchance, j'en fais partie.

Il pousse une porte avec force et le décor change. La musique, qui semblait être un The Smith, se tait, soumise. Le silence reprend sa place et je n'entends que la respiration lourde et inquiète de mon collègue. La mienne n'est pas non plus mélodieuse. Je le sais. Dans une détermination forcée, je retiens les questions qui frôle mon esprit bourré. Les sourcils froncés de Drake ne les apprécieraient pas. Il les éviterait d'un grognement ressemblant, presque, à une insulte. Les marches craquent sous nos pas impatients de rejoindre un étage dont je ne connais pas le chiffre. Le 2, d'après le fait que nous venons de pénétrer dans un couloir qui porte cette numérotation. Je serais presque fier de mes talents d'enquêteur.

- Bordel... grommelle Drake.

Je ne l'écoute pas, trop concentré sur les gémissements et cris provenant de portes fermées et anonymes. Du plaisir se mêle à de la douleur. Une odeur perle un peu : celle du sexe. Ce mélange de sueur et de reste que l'on devine et connaît sans l'avouer. De sourire, de soupir et d'effort. Elle se mélange avec le parfum fleuri de la moquette, lui donnant un air d'été appréciable. Un hurlement perce le tout. Inhumain, bestiale. Horrible. Un sourire déchire les lèvres de Drake qui accélère le pas. La porte 237 nous dévisage. Drake abat son poing sur le bois tendre.

- Jack, Jack ?!?
- Putain, mais il se passe quoi? Je demande une centième fois.

La réponse à ma question, assez peu claire de la part de Drake, se traduit par un coup de pied dans la porte. Cette dernière, boudeuse devant aussi peu de tendresse et ayant sans doute vu assez de saloperie dans sa carrière décide d'abandonner et de se laisser tomber. Comme ça. Et je la suis presque dans cette humeur. Pas à cause d'un coup, non. A cause d'une odeur. D'une vision.

À l'intérieur, outre la décoration peu feng shui selon Patrice 37 ans banquier le jour et Rien le soir selon mes sources, se trouve une légère couleur sang. Légère étant un euphémisme. Je ne parle pas de la teinte ornant la tapisserie. Non. Ni des quelques litres de sang ayant recouvert, aléatoirement la pièce dans une tentative artistique contemporaine et vaine. Une femme, bouche aussi ouverte que sa gorge, regarde le néant d'un air désintéressé. Devant elle, nu et souriant, se tient mon patron. Je retiens difficilement mon dernier whisky qui ne me demande pas mon avis pour aller s'échouer sur la moquette. L'air printanier, se change, instantanément, en des souvenirs plus hivernaux. Drake, lui, fait comme si rien ne se passait. J'avais oublié que j'étais entouré de gars ayant mérité d'être là.

L'énième Testament : Un stagiaire en enfer !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant