Chapitre 7

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               Les sièges sur lesquels nous sommes assis sont confortables. La petite table trop basse où se reposent nos verres vides et ceux entrain de se faire avaler l'est un peu moins. J 'y agrippe mon verre où tangue, dans une chorégraphie aléatoire, un whisky coca de bonne qualité. Une fine mousse couleur caramel se dessine sur le verre .J'amène à mes lèvres avides ma boisson et avale d'une traite ce qu'il y reste. Des effluves d'alcool dansent déjà dans mon esprit et embrume ma vision ainsi que ma conception du monde. Mon regard, suivant des pensées profondes mais altérées, se posent sur la piste où une foule anonyme car trop nombreuse bouge, synchrone. Les corps s'entrechoquent, flirtent, jouent, se reprochent et se séparent. Les lumières artificielles tombent sur eux et donnent à la scène un cachet artistique quelque peu sale. Je vois des yeux rouges briller et brûler, des hommes se fondre dans la masse pour aller tenter de charmer des femmes qui connaissent déjà toutes les ficelles de ce jeu vicié. La voix de Drake tombe sur moi, s'attachant,comme un boulet, sur mes pensées qui s'envolaient et ne souhaitaient pas revenir. . Je les vois atterrir difficilement sur cette réalité et ce monde, se déchirant dans une tristesse infinie de ces sphères oniriques où elles se promenaient alors.

- Bordel, Lucien.... tu m'as l'air complétement bourré.
Je pose mes yeux d'un marron banal sur lui, réfléchissant sérieusement à cette remarque.Regard trouble, pensée artistique et volatile, sensation étrang eaux dents comme si elles étaient anesthésiées...

- Oui, ça commence. Dîtes, vous avez déjà rencontré Lucifer ?
Un non général me répond dans un rire coincé entre la moquerie et la déception que ce non leur coûte. Jack reprend:
- Étonnamment,non. Mais Jésus, par contre, un bon paquet de fois. Tu vois la serveuse là-bas ?
D'un doigt fin il indique une femme derrière le bar, je fais semblant de la voir, gêné par la foule et sa danse épileptique.
- Ouai ?
- Il en pince pas mal pour elle. Parfois, je me demande même si il en pince pas carrément pour l'Enfer. Il est juste...tellement souvent là. Tu vois ?

  Ma tête hoche maladroitement, malgré moi. Du coin de l'oeil je peux voir Drake aggriper une danseuse qui passe par là, il lui tend des billets d'une monnaie que je ne connais pas. Après un dialogue dans le creux de l'oreille, la femme commence à s'assoir sur mon collègue, flirtant avec lui. Je détourne le regard. Mon attention se pose sur Emile qui, lui, fixe, caché derrière ses lunettes, ce spectacle. Il s'en délecte, je le sens. Pourtant une sensation de honte et d'extrême dégoût ressort de son expression.J e rapproche mon siège de lui et de Jack.

- Et du coup,  tu as fait quoi Emile pour finir ici?
                     Il tourne les yeux vers moi, en colère. Je peux lire sur son visage la couleur écarlate de cette émotion et toute l'ampleur de celle-ci. Il s'apprête à me sauter à la gorge. La main de Jack se pose sur son torse. Elle est puissante et intimidante. Assez pour qu'il se calme. Un peu du moins. La voix de Jack me remet aussi à ma place.
- Ecoute, je sais que tu es nouveau ici Lucien mais cette question ne se pose pas. Ou alors à des amis de confiance, de longue date. Parce qu'ici, même si nous avons fait des erreurs, c'est un moyen de recommencer une vie, d'oublier le passé et d'avancer. Et puis, Emile lui pense qu'il n'a rien à faire ici.
                      Le concerné se débat sur sa chaise,argumentant à qui veut l'entendre que oui il n'a rien à faire là. Il a écouté la parole de Dieu, comme sa mère la lui clamait. Si il a tué c'est seulement pour purifier ces gens là...je ne l'écoute plus, nauséeux. La folie que je lis en lui est plus grande que ma compréhension. Jack lui tapote l'épaule, sans l'écouter ni le juger. Je crois que je respecte cet homme. Il me renvoi l'image de quelqu'un qui a déjà vécu et qui comprend que l'on puise faire des erreurs. Même si ces erreurs indiquent, par défaut, de violer des cadavres. Ses yeux se posent sur moi. Sa main me tend des billets.

-Quoi tu veux que je danse sur toi aussi?
Drake sort sa tête d'une poitrine généreuse mais fausse.
- Jaloux va !
- C'est ton premier salaire, dépense le utilement. Comme par exemple dans une tournée pour tes collègues que tu aimes plus que tout.

              Je les accepte, il me lance un clin d'oeil auquel je répond malgré moi. Mes yeux se posent sur les bouts de papiers que je tiens serrés dans ma paume droite. Des figures démoniaques sont inscrites dessus.Des célébrités sans doute car il me semble reconnaître un Hitler parmi celles-ci. Je soupir un « bordel » tandis que je me faufile dans la foule de la piste de danse. Des corps chutent contre le mien, ne me remarquant pas. Je suis trimbalé d'un point A à un C en passant par celui du T. Des corps nues et en sueur se frôlent à moi. Des mains tendres et inconnues s'attardent sur mon visage. Je tente de respirer, n'y arrive pas. Un Vertige me prend puis un deuxième tandis que je m'extirpe enfin de la cohue.
Devant moi s'offre, superbe, un bar que j'apprécie déjà. Le long comptoir boisé, surplombé par des lustres bas et tamisés, renvoi un aspec tluxueux et classe. Mais ce que j'y vois derrière, outre les bouteilles superbe rangées sagement par type d'alcool, fait oublier mon coeur de battre. Un bond, c'est tout. Je m'approche du bar, coinçant les billets entre mes doigts. Me penchant sur le comptoir, en me glissant entre deux tabourets vide, j'attends sagement la serveuse. En fond passe un superbe « Girl's got the Rythm ». Elle me remarque, du coin de l'oeil, finissant de bavasser dans une conversation ennuyeuse et forcé avec un poivrot lourdeau. Une politesse commerçante et difficile mais néanmoins professionnelle.  D'une main experte elle lui sert un verre et attends sagement le paiement. Elle arrive ensuite vers moi, se penche pour prendre ma commande. A mes narines remontent une fragrance superbe.Celle de ses cheveux, court et punk.
- Ce sera quoi ?
- Quatre Whisky s'il te plait.
              Elle détourne s'arrachant à notre étreinte inexistante hormis dans mon esprit. Je peux voir ses yeux verts se distancier des miens. Ses bras s'attellent à la tâche,choisissant une bouteille avec expertise. Sur son bras droit danse un tatouage que je reconnais immédiatement. Parce que cette créature a hanté mes cauchemars et mon imagination. Parce qu'il est l'un de mes souvenirs d'enfance que je chéris le plus.  Il s'agit d'un Xénormorphe, cette créature mythique du cinéma SF, et à en juger par la forme de son crâne, une reine. Elle sort quatre verres, y déverse soigneusement les doses recommandées et me les tends. Poussé par l'alcool et le désir, par ma grande gueule aussi je dis:
- Alien 1 est mieux que le 2.
          Ce qui en soit est aussi vrai que faux. Ils sont différents et portent tous deux une plac e importante dans mon petit coeur de cinéphile nourri au goût d'une mère qui l'était tout autant. Les sourcils de la serveuse se lèvent, elle regarde inconsciemment son tatouage.

- C'est clairement faux. Le deux est superbe. Il n'y a qu'à voir la mythologie sur le cycle de reproduction des aliens, les thématiques liées à Ripley, Hicks ou même encore la scène finale où Ripley descend chercher Newt...
- ... Qui une réécriture du mythe d'Orphée. En plus badass, bien sûr.
         Elle se penche sur le comptoir, ravie sans doute de découvrir que quelqu'un ici bas partage un tant soit peu de son bon goût. Le rouge à lèvre écarlate qu'elle porte sur lèvres s'étirent un peu, en même temps qu'un sourire que j'apprécie par sa sincérité.Une lueur de malice nait dans ses yeux. Dans les miens aussi.
-Tu es fan d'Alien ?
Je repense à mes livres collectors dont le superbe journal de Giger et l'édition artiste du comics du film original qui trône dans ma chambre d'étudiant. Et qui prendront la poussière dans d'autres mains que les miennes. Un pincement au coeu rme coupe. Je répond, en retard.
- Bien sûr. J'ai grandi avec,j'avoue. Mais c'est une trilogie superbe, surtout pour un fan de science-fiction comme moi.
- Trilogie ?
              Elle sort deux petits verres, deux shooters comme on dit dans le jargon des étudiants alcooliques comme moi. Une bouteille apparaît de sous la table. Elle la pose violemment sur le comptoir. Du coin de l'oeil elle vérifie si personne de sa direction ne se trouve dans les parages puis débouchonne la bouteille d'où s'envole une odeur d'éthanol pur. Les deux verres remplis nous dévisagent. Elle m'en tend un, porte le deuxième à sa bouche sans détourner le regard. Je me perds dans cette lueur d'absinthe que je vois dans ses yeux.
- Au quatre qui n'aurais jamais du voir le jour !
Je répète à mon tour et, dans une synchronisation non travaillée, avale mon verre. Une grimace parvient à mon visage et y reste longtemps. Elle nous ressert un shooter.
- Je t'aime bien ...
- Lucien.
- Je t'aime bien Lucien. Tu es la première personne que je rencontre ici qui reconnaît ce tatouage.
Elle lève son verre, le bois cul sec. Je l'imite. Un sourire gêné se coince sur mes lèvres.
-L'Enfer possède des téléphones portables?
Son rire empli la pièce, du moins je crois. Elle se moque de moi, s'étouffe sur son verre et avale difficilement ce qu'il contient;
- C'est une manière de me demander mon numéro?
- Hum. Pour être honnête,oui.
          Sans se découvrir de son sourire moqueur, elle griffonne un numéro sur une serviette trainant par là. Une trace de verre, ayant sans doute bavé, s'y trouve. Elle me la fait glisser jusqu'à moi. Je peux y lire les chiffres mais surtout son prénom: Rosie. Un prénom plein de promesse. Dans mon esprit chante un Bon Scott à la poésie tordue mais belle.
- Merci, Rosie.
- Je finis mes soirées à 3h. N'oublie pas.
- Promis.
        Devant le poids des demandes d'autres clients, sans doute tout aussi subjugué par cette femme que moi, elle repart, non sans jeter une dernière fois un regard sur moi. J'emporte mes quatre whiskys, ravi. Puis, cette émotion disparaît devant la tâche que vient de me tomber dessus: celle de traverser la piste de danse avec des boissons dans les mains.


- Tu en as mis du temps, Lucien ! Dit Drake pour saluer ma venue.

Je lui ai sans doute manquer. Ou bien il s'agit du whisky que je lui tend. La danseuse me regarde avec dédain, oubliant sans doute mon collègue occupé à lécher les tétons de ses seins proéminents et faux. Je la regarde de travers, elle prend le verre puis retourne son attention sur l'Américain. Je me dirige vers la table, y pose les whisky et m'assoit lourdement. Je remarque l'absence de Jack. Emile me dit qu'il est monté à l'étage voir une certaine « Dahlia ». Je souffle une remarque que personne n'écoute puis sirote mon verre, repartant dans mes pensées. Elles vont cette fois à Rosie, à son parfum. Je laisse mes yeux tomber, un peu, sur les fesses de la danseuse me faisant face. Je soupir.
- Où sont les toilettes?
Emile m'indique une direction à l'opposée. Je me relève, vidant cul sec mon verre. Mon corps refuse cet énième dose d'alcool. Je le force et m'en vais. Dépassant les tables voisines où des lignes de cokes caressent les narines de nantis. Ils les font passer avec un champagne que je ne connais pas. Je détourne le regard, cherchant le logo des W.C que je finis par trouver non sans avoir trébucher sur un homme ivre comatant là.


              Les portes me font face, je les pousse sans tendresse. Elles grincent un peu, faisant semblant de donner leur avis sur ma non politesse, puis, soumises, se laissent faire. La pièce est vide. Du moins deux toilettes sont actuellement occupés.Des pissotières me fixent du regard. Le mélange printanier d'un produit ménager et d'une urine rance flotte dans l'air. Je l'ignore,m'engouffrant dans la dernière des cabines.
                Pendant que je vide tous mes problèmes dans une visée approximative, je me concentre sur les graffitis décorant les murs. Je suis ravi d'apprendre que « Cindy suce au 07 0.... ». Je suis sûr qu'elle y met, d'ailleurs, tout son talent et que sa convivialité et altruisme, forts d'une éducation religieuse lui ayant appris l'amour de son prochain, lui vaudront une place bien au chaud parmi les nuages cotonneux des cieux. D'autres inscriptions indiquent, notamment, qu'un certains« David était là ». Je considère toute l'importance de cette information tandis que, dans une une souplesse presque exemplaire au vu de mon état et de l' alcool me servant de sang,j'actionne la chasse-d'eau d'un coup de pied expert. Une vieille habitude. Je me retourne, découvrant sans réelle surprise, que j'avais oublié de fermer la porte. Mon reflet danse dans les miroirs qui me font face, il s'agrandit, se rapproche des éviers. Je tente d'en actionner un, y arrive.De la piste de danse souffle une chanson que j'ai toujours aimé et qui me surprend par sa présence ici: Solaar Pleure. Quand je le croiserais, je lui dirais merci pour sa plume.
                       L'eau chaude s'échoue sur mon visage qui se réveille, un peu, sous cet assaut. Je ferme les yeux, me délectant de cette sensation qui pour un temps m'extirpe de ma condition misérable et toxique. Je recommence deux fois puis pose mon regard sur le miroir où quelques gouttes d'eau coulent lentement dans un trajet aléatoire. Une surprise me prend, me retourne et fait de moi son soumis. Devant moi, sur ce miroir et sur ma gauche, me fixe un visage que je connais sans l'avoir jamais rencontré. Une figure apprise à grand coup d'éducation faussement laïque. Des cheveux longs tombent sur les épaules bien charpentées de l'homme. Son regard, profond, sévère et tout aussi embué que le mien, me dévisage sous une couronne d'épine démodée.
- Jésus...  je souffle
                          Un sourire mauvais se dessine sur ses lèvres tandis qu'une main puissante il me prend le crâne, tirant sur mes cheveux dans une tendresse messianique. Le miroir accueille mon visage dans une volonté un peu forcée. Du sang coule maintenant avec les gouttes d'eau. On m'envoi au sol. J'accepte volontiers cette invitation.

L'énième Testament : Un stagiaire en enfer !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant