Chapitre 8

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Sur le sol trempé, j'espère par de l'eau, je rampe. Hébété par la violence et cherchant mon souffle, je tente de m'échapper. Du moins d'indiquer à mon cerveau, trop concentré sur des priorités telles que la douleur et la peur, de se mettre en route vers une tentative de conception de "plan" utile pour s'en sortir. Un coup de pied caresse mes côtes et je suffoque un peu plus. Une main aux doigts trop longs et fins m'attrape les cheveux et les tire en arrière dans une tendresse altruiste envers son prochain. On me relève, me pousse contre les lavabos. Dans les yeux du fils de dieu je vois une colère et un sadisme certains. Ce n'est qu'un homme au final. Ses lèvres s'ouvrent, crachent des phrases, en postillonnent d'autres et moi, perdu, j'en capte quelques unes.

- Tu te prends pour qui toi? Une âme à peine arrivée qui pense qu'elle peut draguer ma serveuse? Je vais te montrer.

L'alcool calme un peu la douleur. Un peu, seulement. Parce que je peux sentir une côte se plaindre. Je l'accompagne dans cette humeur tandis qu'un liquide chaud coule le long de ma bouche. Le goût de fer contre ma langue ne me trompe pas. Il m'a déjà bien amoché. Il continue de me parler  comme si je n'étais rien. Je n'ai jamais aimé cela. En haut ou bien ici. La condescendance, c'est pour moi. Pas l'inverse.


-Tu te prends pour qui hein?
- Le fils spirituel d'Ellen Ripley, dis-je dans un crachat écarlate


Petit test culturel. Ses sourcils se froncent, brièvement. Il ne doit être calé que dans les prostitués et la lutte contre le tétanos. Je sens qu'il prépare son poing pour me l'envoyer, au choix, contre le visage où le foie. Je parierais sur le foie. Et, à cause de l'alcool, à cause du fait que je suis mort et que, donc, je me fous de tout, j'envoie mon crâne s'abattre sur son nez avant qu'il n'ait eu le temps de se décider. Un petit craquement déplaisant survient. Il recule, étonné. Son visage semble avouer quelque chose d'étrange. Une surprise devant la douleur. Il semble l 'avoir oublié, trop habitué à être dans cet « après ». Il mets sa main sur son nez, la retire. La paume ensanglantée le dévisage.

- Bâtard ! Crache t'il

J'aimerais lui dire que les enfants, hors mariage, ne sont plus un problème. Que les mariages, eux, le sont devenus dans un monde qui va trop vite et où les gens n'ont plus le temps pour eux. Et que, Dieu, de toute façon a déjà vu trop d'union pour en avoir quelque chose à foutre de celle de Marlène et Richard Muoton. Mais j'ai décidé d'être con.Une liberté que possède chaque homme et dont certains abusent. Par habitude.

- Dit, ça fait quoi d'avoir un Papa absent ?


Il court sur moi, empli de haine et d'autres choses. Son index se plante sur mon front. Je reste là, étonné. Perdu. Il se concentre, serre les mâchoires. Un frisson remonte le long de mon échine. Un autre le suit peu après. Je peux voir une goutte de sueur naitre et mourir sur sa peau fatiguée, traçant un trait humide de son front jusqu'à son menton pointu. Il augmente la pression de son doigt. Par frustration sans doute. Une chaleur appréciable caresse ma peau. Après quelques trop longues secondes de ce traitement, j'ose demander.

- Tu fais quoi...?

- Ce n'est pas normal.

Il me relâche contre les lavabos sur lesquels je me pose, perturbé. Je le vois se diriger vers la porte des toilettes fermées. D'un coup de pieds, il la défonce et en tire un gars caché là, attendant courageusement la fin de la rixe.

- Non, non, non Jésus....je n'ai rien fais.
- Si tu es en enfer, c'est que si.

Une seconde passe. L'homme comprend toute la logique de l'argumentation du Fils de Dieu. Il n'est pas d'accord avec mais se laisse tout de même trainer jusqu'à moi. Des larmes, franches, coulent de ses yeux qu'il veut apitoyant. Ne s'est il jamais pris de coups de sa vie ?Jésus recommence son cirque et enfonce son index dans le front de l'inconnu tout en me fixant. Une lumière irradie la pièce instantanément, agressant les murs sales et le morne ambiant. Je me rend compte, subitement, qu'elle provient de l'homme lui-même. Elle s'extirpe de son corps par tous ses orifices puis s'envole vers un abstrait que je tente de comprendre. Aveuglé, une incompréhension perle dans mon esprit, je m'y accroche comme un enfant et sa peluche. La seule chose que mon esprit arrive à analyser est le cri effroyable qui résonne dans la pièce. Et dans mon âme. Un mélange de peur,de tristesse et de douleur infinie. Une témoignage d'un après cet « après » qui, étrangement, ne me donne pas envie. Tandis que je retiens une nausée, un feu démarre, dévorant peu à peu le corps de l'homme. Je fixe les flammes dansant sur la peau carbonisée. Une odeur forte prend mes narines et noie mes yeux de larmes. Bientôt il ne reste plus que des cendres. Et un foutu bon paquet de question dont les réponses, pourtant salvatrices, ne m'intéresse que peu.
Ravi du spectacle dont il a été le principal acteur, réalisateur, caméra man et coach vocal, Jésus se redresse, contemplant son oeuvre dans un regard éloquent.

- Tu es quoi toi ?

Ses pieds nus le portent jusqu'à moi. Il commence à tendre l'index. Je le repousse. Une lumière inonde la pièce. Cette fois-ci, elle vient du dessus. De là-haut. Du carré VIP céleste. Je vois le fils de Dieu grimacer. Déçu.
- Je reviendrais.
- Promis ?
Il ne comprend pas ma vanne. Tant pis. Je serais donc le seul à me trouver intelligent et drôle, comme d'habitude. Un nouveau flash de lumière et il disparait. Me laissant seul avec un moi-même au visage tuméfié et un tas de cendre fumant. Le silence détend ses longues jambes invisibles dans la pièce. Je lui laisse toute sa place que je trouve méritée. M'adossant contre le mur froid et humide, je ferme les yeux et cherche mon souffle. Je cherche surtout à comprendre ce qu'il vient de se passer. J'abandonne vite.Mes converses fatiguées enjambent le tas de cendre et je me dirige vers la sortie. Non sans murmurer un dernier juron. Son écho,d'ailleurs, se perd dans le chaos d'une musique trop forte.

L'énième Testament : Un stagiaire en enfer !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant