XVIII - Léo

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Les jours se passent au rythme de nos répétitions. Fin de matinée, après-midi, j'ai l'impression d'être revenu à nos débuts, lorsqu'on passait des heures sur une seule chanson. Nous étions jeunes et stressés. Moi : exigeant et perfectionniste.

Je redeviens ce mec là. Avec Jules en renfort. Camille a de quoi s'occuper !

Comme je l'ai prévenue, je ne la lâche pas. Echauffement de la voix, exercice de diction, mémorisation des paroles, et...chant. Je suis sur tous les fronts comme au bon vieux temps. Je remarque bien que Jules apprécie ce qu'il voit de moi : je lui donne ce qu'il voulait. Ce que je redoutais. Mais je me convaincs que rien n'est plus savoureux que de voir Camille soupirer chaque fois que je ne suis pas satisfait du résultat et que je la fait recommencer.

J'en fais trop avec elle.... et je le fais exprès.

Malheureusement, cette situation est à double tranchant ; le piège se referme sur moi. Parce qu'en dehors de nos répétitions, mes yeux n'en font qu'à leur tête : ils l'observent tout le temps. Dès qu'elle a le dos tourné, qu'elle évolue dans notre environnement, je la regarde. De son petit déjeuner où elle va s'installer boire son thé sur le canapé au soir lorsqu'elle prend enfin congé de nous, mes yeux dévalent sa silhouette et les traits de son visage.

Et il y a toujours un moment où elle me voit faire. Ses yeux font les mêmes allers-retours que les miens. A mesure que le temps file, ce sont deux aimants qui cherchent en vain à s'éloigner pour mieux se percuter ensuite.

Je ne sais pas à quoi elle pense dans ces moments là, mais chaque fois, après avoir détourné la tête, son regard s'assombrit. Emportant avec lui, mes pensées.

Alors pour éviter de me gaver de son image, je m'éloigne du calvaire qu'elle m'inflige et passe mon temps libre dans l'unique pièce où je peux être tranquille. Je délaisse la guitare qui s'y trouve. Les CDs. Uniquement concentré sur les pages blanches de mon carnet. Et après cinq jours, où je relis la frustration que j'y ai déversé, je ne me voile plus la face : Camille m'inspire. Tout ce que j'écris la concerne.

Je l'imagine avoir vécu mille vies, mille tragédies et retranscrit le tout sur le papier. Ses voyages, ses rencontres, son désespoir. Camille est dépeinte sur mes pages à la manière d'une héroïne aventurière. Qui se donnerait des airs d'adultes alors qu'à l'intérieur se trouverait une âme d'enfant perdue. C'est ainsi que je la perçois.

Même si je dois être le seul...

Mes potes agissent avec elle plus librement et sans se poser de questions. Paul et Gasp l'ont adopté pour leurs parties de basket, quant à Jules plutôt côté discut' une bière à la main. Cette fille n'a vraiment aucun mal à s'adapter à un environnement masculin.

Il n'y a qu'avec moi qu'elle reste sur la réserve. Il faut dire que nos échanges sont loins de se faire dans le calme et la réflexion. Comme si nous savions tous deux qu'il y avait autre chose derrière. Quelque chose qui ne se fera pas en douceur.

Elle me fout tellement en rogne...

Camille cherche à m'agacer en permanence. Elle a bien compris que je répondais à une provocation par une autre. Elle a bien remarqué mes humeurs massacrantes dès qu'elle se pointait un peu trop enjouée. Alors elle continue. Elle réveille mon impulsivité, mes habitudes à me renfrogner et cette autre partie de moi qui existait avant toute cette merde.

Lorsqu'elle est là, je ne pense plus à mon passé, ni aux souvenirs, ni à mes insomnies qui ne me quittent toujours pas. Je vis l'instant présent. Juste pour la rembarrer. Pour éviter qu'elle maîtrise trop le jeu et me fasse perdre la face comme je suis certain de le faire un jour...

Restart with Song [Publié chez Hugo Poche]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant