Trois longs et rudes mois se sont écoulés depuis l'accident de travail de mon père. Il avait repris quelques forces mais n'était toujours pas retourné au travail, ce qui le rendait triste. Il ne pouvait plus faire les mêmes activités qu'il faisait avant, les moments qu'on partageait en famille comme faire du vélo au bord du lac, me porter sur ses épaules. Au moindre gros effort, il fermait les yeux de douleur et respirer normalement lui devenait difficile. Il m'a décrit cette sensation, c'était comme si son coeur se serrait et qu'on lui coupait le souffle. Il avait perdu plus de quarante pourcent de la capacité de son coeur, ce qui le laissait handicapé. Il avait du mal à accepter la personne faible physiquement qu'il était devenu. Il refusait le fait d'être différent et de ne plus pouvoir faire ce qu'il faisait avant. Ma mère, elle, n'était pas plus affectée par l'infarctus de mon père que ça. C'était même à se demander si elle avait souhaité qu'il y reste. Mes parents se détestaient. Les quelques minutes où ils se voyaient pour transporter mes affaires chez l'un ou chez l'autre leur suffisait pour se provoquer, l'un et l'autre. Ils ne s'adressaient plus la parole si ce n'était que pour se gueuler dessus à cause des semaines de garde alternée non-respectées ou pour savoir qui nous aurait tant de temps pendant les vacances. C'était insupportable et désolant de voir qu'ils pouvaient en arriver à ce point là. Même pas de "bonjour" ni même de "au revoir". J'avais l'impression d'avoir deux grands gamins en face de moi. Mon père avait en travers de la gorge le fait que ma mère nous fasse souffrir et ma mère en voulait à mon père pour nous avoir enlevée à elle pendant un certain temps.
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Deux ans après, la petite fille innocente de 12 ans que j'étais avait bien grandi. Mes cheveux dorés avaient poussé et mon corps avait changé. J'avais vu le jour pour la première fois il y a maintenant 14 ans et honnêtement, aujourd'hui je me dis que j'aurais préféré ne jamais naître. J'avais pris conscience de la vie merdique que j'avais. Je n'aimais rien de ma vie et je ne m'aimais pas. Je ne me trouvais pas spécialement jolie ni intelligente et je ne partageais pas les mêmes centres d'intérêt que les adolescentes de mon âge. Elles sont attirées par la mode, les garçons, le maquillage, les sorties entre copines. J'étais plus branchée par la musique, rester cloîtrer chez moi plutôt que de traîner à l'extérieur. J'étais du genre asociale. Normalement, les parents t'interdisent à sortir parce que tu n'es jamais à la maison, moi c'était tout l'inverse. Mes parents me poussaient à sortir.
« Tu devrais sortir, tu ne vas quand même pas rester enfermée par ce temps là!» me répétaient-ils.
Mais avec qui pensaient-ils que j'allais sortir? Je n'avais pas vraiment d'amies et les seules qui m'adressaient la parole, c'était pour avoir les réponses du contrôle d'anglais ou pour me demander si j'avais un chewing-gum à leur donner.
Pendant ce temps là, ma mère continuait de déconner. Elle buvait maintenant régulièrement. Eva était partie en voyage scolaire avec le lycée et je me retrouvais donc seule avec ma mère car c'était sa semaine. Je savais bien que ça n'allait pas bien se passer mais je n'imaginais pas à quel point. J'ai passé sept jours seule, à être enfermée dans ma chambre, à pleurer toutes les larmes de mon corps et me nourrissais de gâteaux que ma mère achetait pour me "faire plaisir". Ma mère, elle, était dans sa chambre toute la semaine. Elle sortait uniquement pour se racheter de l'alcool quand elle avait avalé la dernière goutte de sa dernière bouteille, même si elle n'avait pas eu le temps de décuver ou pour aller au toilettes ou pour manger toute la nourriture qui était censée nous suffire à toutes les deux pour la semaine entière. Au bout de deux jours, elle avait déjà dévalisé le frigo. A chaque fois qu'elle sortait pour se racheter son tord-boyaux, elle ramenait avec elle des cochonneries comme des chips pour ne pas passer pour une alcoolique devant la caissière du magasin juste à quelques mètres de chez nous. Je ne voulais rien dire à mon père pour ne pas l'inquiéter et pour ne pas qu'il fasse de démarches pour récupérer ma garde exclusive car je n'aurais pas supporté de ne plus voir ma mère. Malgré les nombreux bas et ses nombreux faux-pas, j'entretenais une relation fusionnelle avec elle, et je ne voulais surtout pas qu'elle pense que je l'abandonne. Un soir, alors que je rangeais la chambre d'Eva et moi, je suis tombée sur un cahier bleu. C'était le journal intime de ma soeur. Eva avait pris l'initiative de tenir un journal intime sous l'insistance de la psychologue. Elle pensait que cela allait la soulager de coucher sur papier ses pensées. Je suis de nature curieuse et je n'ai pu m'empêcher d'ouvrir le carnet qu'elle souhaitait garder secret. Je feuilletais les pages unes à unes. Ses mots me déchiraient le coeur. Elle parlait de ma mère, mais aussi de moi.
« Je ne parle pas souvent de ma petite soeur Charlotte et je ne lui montre pas beaucoup d'affection. En réalité, je suis plutôt froide et distante avec tout le monde. Charlotte est plutôt chiante, mais je pense que toutes les petites soeurs sont comme ça. Elle ne m'était pas indispensable et je pourrais facilement faire ma vie sans elle, pour être honnête, j'ai même assez hâte d'atteindre la majorité pour quitter toute cette merde et me retrouver. Partir loin de cette sous-merde qui me sert de mère. »
Je n'avais pas pu continuer de lire les autres pages. Mes yeux étaient humides et des larmes remplissaient mes yeux, ce qui rendait ma vision floue. Je n'arrivais pas à croire qu'elle pensait vraiment les mots qu'elle avait mentionné. J'étais profondément blessée par le fait qu'elle me détestait encore plus aujourd'hui que le jour où je suis entrée dans leur vie.
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Work hard, dream big.
Genel KurguTout a commencé il y a maintenant 5 ans, un soir d'été de 2010. J'étais avec ma soeur et ma mère et la soirée se déroulait plutôt bien jusqu'au moment où tout a dérapé. J'avais remarqué que maman devenait de plus en plus bizarre au fil de la soirée...