Chapitre XI

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Sa brosse passe et repasse à travers mes longs cheveux bruns. Des épingles s'enfoncent dans mon crâne et je suis de nouveau coiffée avec un chignon sophistiqué.

Charity recule pour mieux admirer son travail. Elle sourit, fière de son œuvre. Quand à moi je ne cesse de fixer mon reflet. Beauté qui m'est étrangère, plus éclatante qu'avant mon départ, je ne me suis jamais vu si belle. Toujours on m'a complimenté sur ma peau laiteuse et mes cheveux bruns et soyeux, pourtant, jamais je ne me suis trouvée belle ou même ne serait-ce que jolie. Voilà pourquoi, tel Narcisse dans la mare, je m'observe et m'admire. Il me semble que le crime me va bien.

- Qu'en pensez-vous ? demande aimablement Charity.

- C'est parfait, répondis-je en lui rendant son sourire aimable.

Elle se lève et se dirige vers le salon. Je la suis.

- Veuillez me pardonner cette phrase, mais vous semblez avoir un sens aigu des bonnes manières pour une personne en détresse, Miss Lyndon, dit-elle.

Cachant mon trouble à merveille, je réponds :

- En effet. Voyez-vous, je viens d'une famille plutôt aisée.

- Vraiment ? Pourtant votre nom m'est inconnu, fait-elle remarquer.

- Je vis aux alentours de Londres.

Son visage s'éclaire d'un aimable sourire.

- Vraiment ? Comme c'est intéressant ! Mais si ce n'est pas trop indiscret, que faites-vous ici ? poursuit-elle.

C'est effectivement très indiscret. Désireuse de passer pour une personne respectable, je répond néanmoins cette histoire inventée de toutes pièces :

- Une de mes tantes est décédée il y a peu dans la région. J'y suis allée seule car ma mère est malade et ne peut guère plus se déplacer. Cependant, sur le chemin du retour, la diligence dans laquelle je me trouvais a été attaquée. J'ai quelque temps poursuivi mon chemin à pieds et je suis arrivée jusqu'ici.

Je vois à la moue attristée de Charity qu'elle compatit réellement à ce qui m'est arrivé.

- C'est une terrible histoire. Bien entendu vous pouvez rester ici autant de temps que vous le désirez, dit-elle avec un aimable sourire.

Nous nous asseyons dans les fauteuils de leur petit salon. Face à face avec Charity, je ne dit plus rien. Mon regard se tourne malgré moi vers la fenêtre à ma gauche. La pluie tombe et les gouttelettes s'écrasent contre la vitre. Elles descendent à toute vitesse dans une course folle. J'aimerai être comme elles : réellement libre. Malgré tout ce que l'on peut dire, on ne l'est jamais vraiment. Notre liberté sera toujours entravée par quelque chose, par quelqu'un, par des règles de bonne conduite. Voilà ce que j'aimerai : retirer tout cela de notre monde. Ce serait l'anarchie en direz-vous. Mais l'anarchie n'a-t-elle que du mauvais ? A cette question, je ne saurai répondre, ne l'ayant jamais expérimentée.

- Alors, comment va notre nouvelle amie ?

Un courant d'air glacé parcourt la pièce, la porte d'entrée  a été ouverte. Le pasteur a parlé d'un ton enjoué. Mais je ne suis pas son amie et je ne le deviendrai probablement jamais. Nous sommes trop différent pour pouvoir nous entendre.

- Très bien, répondit Charity d'un ton tout aussi enjoué. N'est ce pas Miss Lyndon ? ajoute-t-elle en se tournant vers moi.

Je sourit aimablement et dit :

- Voyons, vous pouvez m'appeler Lydia.

Son visage devient radieux, il en faut vraiment peu pour la rendre heureuse.

L'île du SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant