Chapitre XV

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Les conversations vont bon train tout autour de la table. Tandis que je fixe mon regard rêveusement sur la flamme d'une chandelle, une voix m'interromps dans ma rêverie :

- Madame Nicholson, depuis combien en temps exactement connaissez-vous ma femme ?

Etonnée que l'on m'adresse la parole, je me tourne vers mon interlocuteur, Garrett Meriwether, avec un air surpris sur le visage.

- Depuis fort longtemps, à vrai dire je suis incapable de vous dire quand précisément. Nos mères se connaissant bien, nous nous voyions presque tous les après-midi à l'heure du thé. J'ai d'ailleurs été excessivement déçue de ne pas avoir été invitée à votre mariage, ajoutais-je afin de le mettre dans l'embarras.

- Oui... fit-il gêné. Mais... Enfin... Nous ne voulions pas vous déranger dans votre deuil...

- Mon cher Mr. Meriwether, dis-je en lui souriant aimablement, il y a de cela quelques minutes à peine, vous ne saviez même pas que mon regretté mari avait perdu la vie.

- Que faisait votre mari exactement ? demanda-t-il, désireux de changer de sujet.

- Il travaillait en étroite collaboration avec une banque, en tant qu'actionnaire. Rien de bien original ou palpitant en soi, répondis-je tandis que l'on commençait à apporter les entrées.

- Pardonnez-moi cette question, mais êtes-vous sa seule héritière ?

Décelant une lueur cupide dans son regard, je réplique froidement :

- Vous devriez savoir que dans la bonne société anglaise, l'on ne parle jamais argent lors d'un repas, et cela par pure politesse.

Je me sens soudainement puissante, j'ai réussi à mettre cet homme horrible dans le plus horrible et le plus important embarras. Extérieurement, seul un calme olympien était visible sur mon visage. Intérieurement, je hurlais de plaisir et de joie. Jamais je n'aurai cru qu'un simple repas me demanderai une telle maitrise de moi-même. Contrainte de redevenir le temps d'une soirée celle que j'étais auparavant, je me suis forcée à enfiler un masque mondain abandonné mais toutefois teinté d'une certaine froideur que les esprits clairvoyants attribueront à la mort de mon bien-aimé Peter. Pendant que j'entame mon entrée, j'entend que l'on m'adresse de nouveau la parole :

- C'est fort étrange que votre mère ne nous ait pas prévenu de votre retour de la campagne, scande Hattie depuis l'autre bout de la table où le silence s'est fait.

Imperturbable, je redresse à nouveau la tête et prononce le même mensonge :

- Elle n'est point au courant. Je compte lui en faire la surprise pour son anniversaire.

- Quelle idée charmante ! s'exclame avec enthousiasme ma prétendue amie. Vous serez donc de la partie pour le pique-nique ?

- De quel pique-nique parlez- vous ? interrogeais-je, surprise.

- Voyons, Levi ne vous en a pas parlé ? Pour son anniversaire dans deux jours votre mère organise un pique-nique durant toute l'après midi, répondis Hattie. Il y aura également tout un tas de divertissement. Si vous voulez venir, vous devriez penser à vous mettre sérieusement en recherche d'un cadeau !

- Le retour de Wilhelmina sera sans aucun doute le plus beau cadeau d'anniversaire que puisse recevoir sa mère, ajoute Levi.

Je me retourne vers lui, recevoir des compliments n'est pas dans mes habitudes. Levi s'est toujours montré gentil et amical, jamais au delà. Mais j'étais mariée me direz-vous, il n'aurait rien osé faire qui irait contre la bonne morale.

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