Chapitre III

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28 mai 1865.


On tambourine violemment à la porte.

"DEBOUT, LEVEZ VOUS !!!"

Jamais de toute ma vie je n'avais connu réveil si violent. Je suppose que ma nouvelle condition de folle y est pour quelque chose. Je n'ai visiblement pas le droit au traitement civilisé qu'on offre aux personnes normales.

Tandis que je m'étire encore allongée dans mon lit, je vois Gigi déjà levée et affairée à remettre de l'ordre dans sa tenue. A vrai dire, n'avoir qu'une seule tenue qu'on porte jour et nuit me déplait assez.

- Dépêche toi de te lever, on va venir nous chercher pour manger, me dit-elle.

Je soupire. Je n'ai certes pas envie de me lever, mais il va bien falloir m'y résoudre.

Cela fait à peine cinq minutes que quelqu'un est venu violemment frapper à la porte, mais déjà, une infirmière ouvre la porte et nous invective pour qu'on sorte de notre cellule. Voulant éviter les ennuis à peine arrivée, je m'exécute dans le calme, suivie par Gigi.

Je rencontre alors pour la première fois d'autres pensionnaires. Nous sommes tous alignés dans le couloir, face aux portes de nos cellules. En ligne, nous avançons quand on nous en donne le signal. Le transfert vers la salle de repas se fait dans le plus grand des calmes.

Là, il y a les mêmes murs blancs, symbole de cet hôpital. On nous fait asseoir le longs de tables immenses. Je me retrouve entourée de personnes que je ne connais pas.

On nous donne chacun un bol rempli d'une bouillie informe et répugnante. Pensant que l'apparence est peut-être trompeuse, je goûte. Pour une fois, je dois dire qu'on peut se fier aux apparences : une texture farineuse et un goût rance de poussière, voilà ce qu'on va me donner à manger chaque matin. A quoi m'attendais-je ? Je ne suis pas dans un restaurant renommé après tout.

Une femme s'agite à une table voisine. Aussitôt, une nuée d'infirmières arrive et se précipitent sur elle pour la faire sortir.

Dégoutée par ce "repas" je décide de ne pas le finir. La jeune femme blonde à côté de moi me donne un coup de coude et chuchote rapidement :

"Finis ton assiette ou tu vas avoir des problèmes."

Le silence étant de mise, une surveillante à l'air peu avenant hurle :

"006EP ! TAISEZ VOUS !"

Décidant de me fier à elle, je termine tant bien que mal mon assiette même si chaque bouchée me donne la nausée.

Quelques minutes plus tard, on passe ramasser nos plats et on nous sommes de nous lever.

Commence alors notre retour en cellule : le même chemin qu'une heure plus tôt est parcouru mais en sens inverse.

On nous pousse à l'intérieur de nos cellules et on nous enferme. Voyant ma mine déconfite, Gigi me demande :

- Tu vas t'y habituer.

- Non, je ne pense pas, répondis-je. Le fait que des gens ici souffrent de maladie n'est pas à mon sens une raison suffisante pour qu'ils soient traités comme des animaux !

Elle hausse les épaules, désintéressée. Je serre les dents. Elle est ici depuis je ne sais combien de temps et ça ne lui fait rien ? Comment peut-elle se moquer éperdument de ce qu'on inflige aux malheureux ici ? Je pense finalement que oui, sa raison est bien atteinte. Elle est de toute évidence dérangée.

Assise sur mon lit, je serre le draps dans mes poings. Il ne faut pas que je m'énerve. Je risquerai de fortement le regretter.

Je me laisse donc retomber en arrière sur le matelas.

Je n'aime pas l'enfermement. Je n'ai jamais aimé ça à vrai dire. Toute ma vie rester des heures dans des espaces clos était une chose qui m'effrayais et me hantais. Quand petite la nuit, je devais dormir enfermée dans ma chambre, j'avais toujours eu du mal à trouver le sommeil. Mariée, quand j'étais confinée dans notre grande maison de jour en jour, j'en devenais folle. Sortir pour prendre le thé avec des gens sans intérêt ne m'a jamais passionné. Mais comment pouvaient-ils comprendre que j'étais plus intéressée par la littérature que par les jolies robes ? On m'a confiné dans un rôle dont je ne voulais pas : celui de parfaite épouse vivant pour la représentation. Maintenant, certains jugeront mon sort peu enviable, mais au moins, je n'ai plus à faire semblant. Je peux être qui je suis, qui je veux être, personne ne me jugera ici, mes frasques seront sur le compte de ma folie.

- Est-ce qu'on sort de notre cellule en dehors des repas ? demandais-je.

- S'ils n'ont rien à te reprocher, tu pourras sortir sans soucis. Mais s'ils jugent que tu es trop turbulente, tu ne pourras pas sortir, me répondit Gigi.

- As-tu le droit de sortir ?

- Oui. parce que je n'ai jamais désobéis aux règles.

- Et quand on sort, que fait-on ? lançais-je, avide de savoir.

- On nous met dans un salle et on peut parler avec d'autres pensionnaires pendant un moment.

- Gigi, tu penses que j'aurais le droit de sortir ?

- Normalement oui. Les nouveaux peuvent toujours sortir, me dit-elle. On les confinent seulement s'ils se comportent mal.

Je soupirais de soulagement. Au moins une bonne nouvelle : j'allais surement pourvoir sortir, ne serait-ce qu'une heure et ne plus rester ici à tourner en rond.

Gigi m'étonne vraiment. J'ai du mal à cerner sa personnalité. Tantôt elle est dans son monde, ne pensant à rien d'autre et ignorant la réalité, tantôt elle a les deux pieds bien encrés sur Terre et elle est très lucide. Comment peut-on conjuguer ces deux facultés ? Ce qui est encore plus étrange, c'est que cet être semblant être si calme est capable du pire. Comment cet ange peut-il se transformer en démon ? Un question que doivent sans doute se poser les médecins d'ici.

D'ailleurs, je me demande vraiment ce qu'on nous fait ici. Y-a-t-il des traitements ? Où nous confine-t-on juste ici, à l'écart du monde ?

Veut-on nous soigner,  ou simplement nous écarter de la société ?

Tant de questions qui, je le crains, resterons sans réponse pendant un moment. A moins que...

- Gigi ? Depuis que tu es là, qu'est ce qu'on te fait ? Tu as des médicaments ? demandais-je.

- Non. Personne n'en a à ma connaissance. Mais il y a une salle.

- Une salle ?

- Oui, dit-elle calmement. Une salle. Personne ne sait ce qu'on y fait. Mais ceux qui y rentrent n'en ressortent pas.

Mon sang se glace. Je me retourne sur le lit et ferme les yeux. Le sommeil me fera peut-être oublier cela.



Bonjour, bonsoir !

Voilà déjà le troisième chapitre ! J'avoue être assez fière de moi : malgré ma surcharge de travail, j'arrive à trouver du temps pour écrire.

Donc, à bientôt,

Raven.

L'île du SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant