Chapitre II

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Nous continuons notre longue progression à travers l'hôpital. Je passe devant un grand nombre de cellules. Toutes sont pleines et à l'intérieur de celle-ci j'entends des internés hurler ou, au contraire, un silence profond et pesant. Après avoir cheminé pendant une durée m'ayant semblé interminable, l'infirmière s'arrête devant la porte d'une cellule semblable à toutes les autres.

- 147WN, vous partagerez votre cellule avec 073GS, me lança l'infirmière d'une voix claire.

Puis, sans ménagement, elle me pousse à l'intérieur et referme la porte à double tours dans mon dos. Mon regard se porte alors sur celle qui va devenir ma camarade de chambre.

Petite, avec de longs cheveux blonds lui tombant jusqu'au bassin, elle est assise le dos appuyé contre le mur et me regarde fixement. Sans raison, elle se met à rire. Un splendide rire de folle. Il n'y a surement rien à tirer d'elle et je me tourne donc vers un des deux lits, décidant que ce serai désormais le mien.

- Tu ne me dis pas bonjour ? demande une voix dans mon dos.

Je fais volte-face et la voit assise sur le lit d'en face.

- Bonjour, dis-je d'une voix horriblement glaciale.

Après tout, pourquoi devrais-je me montrer aimable ? Elle me tutoie sans même me connaître. Ne lui as-t-on jamais appris le respect ?

- Je suis contente de ne plus être seule. Je commençais à m'ennuyer sans Margarett, dit-elle d'une voix rêveuse.

- Qui est Margarett ? demandais-je, ma curiosité piquée.

- Celle qui était avec moi avant toi.

- Où est-elle maintenant ? Elle a pu partir ? interrogeais-je, une lueur d'espoir détectable dans ma voix.

- On peut dire qu'elle est partie. Elle s'est pendue dans cette chambre il n'y a pas longtemps. Juste là, me répondit-elle avec un sourire angélique tout en pointant un endroit au dessus de mon lit.

Pendue ? La mort est donc le seul moyen de s'échapper d'ici ? Déçue, je me laisse choir sur le lit.

- Au fait, moi c'est Gigi.

Elle ne s'arrête donc jamais de parler ? Je ferme les yeux et expire calmement. Il ne sert à rien de s'énerver.

- Je suis Wilhelmina.

Ma voix a claqué, sèche, je voudrais couper court à cette conversation et replonger dans ma solitude. Pourtant, cela ne semble pas affecter l'humeur joyeuse de ma compagne puisqu'elle poursuit gaiement :

- C'est joli. J'ai 24 ans. Tu as quel âge, Mina ?

Je me raidis. Elle m'a appelé Mina. Le surnom qu'on me donnais dans ma petite enfance, ce surnom que me donnais aussi la seule amie que j'ai jamais eu. Poussée par je ne sais quelle force invisible, je décide de lui répondre.

- J'ai 27 ans.

Pensant que la discussion allait s'arrêter là, je m'étends sur le lit et me tourne vers le mur. Je ne veux plus voir le visage d'ange de cette fille. Les personnes aussi adorables ne devrait pas exister. On devrait les exterminer en bonne et due forme. Aussitôt, une question me frappe : pourquoi est-elle là ? Pourquoi une personne aussi gentille en apparence s'est-elle retrouvé ici ? Sachant que de toute manière je n'aurai rien de mieux à faire, je demande :

- Pourquoi es-tu là ? Qu'as-tu fait ?

Je l'entend qui se lève de son lit. Bientôt, je la sens dans mon dos. Elle s'approche de mon oreille et me chuchote doucement :

- Comportement pyromane.

Je tourne ma tête et la regarde fixement. Est-il possible que cette personne, semblée descendue du paradis, ait-pu déclencher des incendies sans raisons ?

- Un soir d'hiver dernier, j'ai laissé ma famille et mon bébé à l'intérieur de notre maison. J'étais sortie dehors chercher des bûches pour alimenter le feu. Et soudain j'ai pensé qu'il serait plus amusant de voir la maison entière s'embraser plutôt que quelques morceaux de bois dans une cheminée. Alors j'ai fait brûler notre maison. Elle était en bois, ça a parfaitement fonctionné !

Elle me regarde toujours avec ce regard doux et avec un sourire adorable. Comme si elle venait de me raconter  la chose la plus normale du monde. Comme je m'y attendais, elle me demande à son tour pourquoi je suis ici.

Elle a été honnête avec moi, je décide de l'être avec elle. Je lui raconte donc mon histoire.

Quand j'ai terminé, elle me demande :

- Qui as voulu se débarrasser de toi en t'envoyant ici ?

Je serre les dents. La vérité est aussi dure à dire qu'à entendre :

- Ma mère. Quand elle a su ce que j'avais fait, elle a voulu se débarrasser de moi. Quand un médecin à mis mon comportement sur le compte de la folie, elle en a immédiatement informé ma belle-famille. Elle m'aurait envoyé en prison si elle avait pu, mais ma belle-mère a préféré qu'on m'envoie ici.

- Moi c'est mon mari. Il n'était pas à la maison quand ça s'est passé. Quand il est revenu, il était furieux. Je suis allée au commissariat et un médecin m'a examiné. Il a dit que je souffrais de pyromanie et que je n'étais pas responsable de ce que je faisais. Alors on m'a amené ici.

Elle continue de me sourire, comme si son sort était enviable. Je réalise alors que la prison aurait en effet été un sort terrible. Ici, nous partageons notre folie commune. Nous somme libre d'être nous même, les choses étranges que nous faisons sont mises sur le compte de notre aliénation. Je me demande vraiment pourquoi il n'y a pas plus de médecins qui s'intéressent aux fous. Ils sont fascinants. Comprendre les raisons de leur actes, s'il y en a, doit être une tâche fort sympathique. J'aurai aimé être à la place du médecin, et me voilà à la place du patient. Cruelle ironie.

Gigi est repartie s'asseoir sur son lit.

- Gigi est ton vrai prénom ? demandais-je.

- Non, c'est Giselle. Mais je préfère Gigi.

Le ton de sa voix, perpétuellement doux et calme m'exaspère. J'ai l'impression que peu importe qu'on pourrais lui dire, elle serait bien incapable de se fâcher. Son comportement n'a rien à voir avec le mien qui est plus impulsif. Déjà, avant, mes colères étaient redoutées. Certaines disaient "Wilhelmina est capable de toute quand elle se fâche". Ils ne pensaient pas si bien dire : la colère et la haine m'ont poussé à tuer ce cher Peter. Je ferme les yeux et revois cette mare de sang sur le tapis de notre chambre. Douce vision que je me plaît à diffuser dans mon cerveau quand j'en ait l'occasion. Rien ne me procure autant de plaisir que cela.

Mais si je n'étais pas aussi impulsive, tout aurait sans doute été différent. J'aurai vécu toute ma vie enchainée à cet incapable, j'aurai eu toute une ribambelle d'enfants horribles, et j'aurai fini ma vie vieille et dans ma grande maison. Une vie dont ma nature aventureuse n'aurait jamais voulue. Dans le fond, je me sens mieux ici. Je tente un nouvelle expérience, une expérience de vie qui n'est pas donnée à toute le monde.

Gigi commence à chantonner dans son coin. Je me retourne sur mon lit et la voit faire une révérence et entamer une danse avec un partenaire invisible. Est-elle uniquement pyromane ?





Bonjour, bonsoir,

Voici un second chapitre terminé !

Déjà, je tiens à vous informer que ma fréquence de publication sera totalement aléatoire. Déjà, mes études me laissent peu de temps pour faire ce que je veux. Ensuite, l'écriture d'un chapitre pour cette histoire est plutôt long, car dans un soucis de réalisme, je me plonge dans des articles et autres documents sur les aspects de la folies aux XIXème siècles ou encore sur les hôpitaux psychiatriques de cette époque. Il faut donc être patient, je le conçois, pour avoir un chapitre.

A bientôt,

Raven.

L'île du SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant