Chapitre VI

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Je regarde rapidement autour de moi et découvre que je suis seule. Sans doute Gigi est-elle aussi en compagnie d'un médecin.

Je suis prise d'une soudaine envie de danser. Une musique que je ne connais que trop bien pour l'avoir si souvent jouée au piano commence à résonner dans mon esprit.

Je me déplace sur le côté, fait une révérence à un partenaire invisible et commence à valser avec lui.

Cette danse me rappelle les immense bals que nous donnions avant. Bals dans lesquels on m'a présenté Peter. Mais maintenant, ce n'est pas avec lui que je danse, c'est avec un homme parfait, tout droit sorti de mon imagination débordante, un homme que je n'aurai pas froidement assassiné. Il est tout ce que Peter n'était pas : intelligent, perspicace, cultivé... Des qualités que j'ai rarement vu dans ce monde.

Un désir de tout oublier s'empare alors de moi. Je lâche mon cavalier imaginaire pour le diriger vers mon matelas. Je recherche un des derniers vestiges de mon ancienne vie que j'ai eu le droit de conserver : mon précédent carnet où je consignais mes si inutiles journées. Je me relève, au son de la musique si douce à mes oreilles, j'arrache une par une les feuilles, les lancent en l'air et les regardent voleter pour retomber. Je tourne sur moi-même sous cette pluie de papier. Comme il est doux de regarder cette ancienne vie tant haïe tomber ainsi en morceau. Elle est parfaitement impuissante, elle n'existe plus, je contrôle désormais ce que je veux faire. Ce si puérile carnet où je notait mes journées que je me persuadais être plaisantes et pleine de sens n'est plus désormais.

La musique ralentit, puis s'arrête dans mon esprit. C'est le moment que choisit la porte pour s'ouvrir. Gigi rentre en trébuchant poussée par une détestable infirmière.

Hébétée, elle regarde le papier étalé sur le sol autour de moi, puis relève les yeux vers moi qui suit encore essoufflée par ma valse.

- Mina... Qu'as-tu donc fait ? me demande-t-elle.

- Je me suis définitivement débarrassée de celle que j'étais, je l'ai enfin entièrement oubliée, totalement détruite. Je suis libre maintenant !

En disant cela, je me suis avancée vers elle. Elle a reculé, proportionnellement à mes pas. Je ne peux m'empêcher d'ironiser :

- Aurais-tu peur de moi ?

Je lui adresse alors mon plus beau sourire diabolique. Je vois ses yeux s'agrandir d'horreur. Dieu, comme j'aime cela. J'aime voir qu'on me craint. De ma vie entière, je ne pense pas avoir jamais été crainte. Gigi ouvre la bouche comme pour esquisser une réponse mais la peur la paralyse. Elle tremble comme une feuille. Désirant pousser l'expérience plus loin, je porte mes mains vers son cou et les placent comme pour l'étrangler. Le peu de couleur qu'il restait sur son visage disparaît, elle n'agit toujours pas, sa peur ayant pris le dessus. Elle se contente de se laisser faire, son visage déformé par la peur.

Je commence à resserrer mes mains autour d'elle, sa respiration devient sifflante. Elle doit fournir de plus en plus d'effort pour pouvoir correctement respirer. Je penche ma tête sur le côté, souris doucement et continue de serrer. D'un côté j'aimerai voir sa respiration cesser totalement, d'un autre, je désire garder encore un peu cette compagne pour m'amuser. Je serre et voit son visage prendre une légère teinte violacée. Tandis qu'elle est au bord de l'étouffement, mon esprit se perd une seconde dans la contemplation de son visage. Cette seconde sera de trop : la main de Gigi atterrit dans mon visage. Je la lâche immédiatement et tombe en arrière.

Maintenant assise au sol, je la regarde tenir son cou. Demain, elle aura sans doute des marques d'étranglement. Quand son regard se porte sur moi, je vois une lueur démente s'allumer. Elle crie, se rue sur moi et me lance poings, pieds et jambes partout où elle est capable de m'atteindre. Son but est visiblement de me faire le plus mal possible pour me faire payer ce que je viens de lui faire. Réfléchissant rapidement, je choisis de hurler, une infirmière m'entendras sûrement.

Je crie donc et vide tout l'air de mes poumons dans l'espoir de me faire entendre. Ma tentative n'échoue pas : il ne faut que quelques secondes à une infirmière pour ouvrir brutalement la porte, empoignée Gigi avec l'aide d'une autre et la tirer dehors. Elles ressortent en la trainant. La porte se reclaque sur moi, je suis abandonnée ainsi. Si j'avais été blessée, personne ne s'en serait soucié.

Je me relève, époussette ma chemise blanche, et pars m'asseoir sur mon lit.

Je m'allonge et tente de réfléchir à pourquoi j'ai voulu étrangler Gigi. Hier, je l'ai giflé pour ses paroles, aujourd'hui, elle n'avait absolument rien fait. Suis-je si dérangée que j'en arrive à violenter des innocents ? Mais au fond de moi, je sais. La crainte que l'on éprouve vis à vis de moi à toujours été un moteur. Avant, on ne me craignais pas. Peter ne m'a jamais crainte, il m'a toujours cru inoffensive jusqu'au jour où je l'ai égorgé dans notre chambre. Il pensait qu'il pourrait toujours me contrôler et avoir la main mise sur ma vie toute entière, que je ferai toujours ce qu'il lui plaisait que je fasse. Le soir de sa mort, quand j'ai vu la peur illuminer son regard sous mes menaces, mon instinct tueur s'est mis en marche. S'il n'avait pas eu peur, sans doute serait-il encore vivant aujourd'hui. Sa terreur à tout déclenché, elle m'a donné envie de le voir mort, de le voir ensanglanté.

Gigi a eu peur devant mon étrange état, elle a failli trépasser également. La peur me donne des ailes, réveille ma partie meurtrière et me rend heureuse.

Dans cette hôpital, ils craignent Katia pour ce qu'elle a fait, je veux être redoutée comme elle l'est. Ils savent que rien de bon ne sort d'elle, je veux qu'ils pensent la même chose pour moi. Ils n'osent pas lui parler, je veux qu'il en soit de même avec moi.

Cette après-midi, je pourrais sortir, je pourrais la revoir. Je me sens malgré moi plutôt proche d'elle. Nous sommes le même genre de femme. Elle a tué sa famille entière, j'ai tué mon mari. Nous nous ressemblons plus que nous voulons bien le penser.

Je me redresse lentement, j'ai envie de faire une sieste mais avant, il me reste une chose à faire. Je me baisse, ramasse une feuille arrachée de mon ancien carnet, prend mon porte plume et mon encre et écrit "PREND GARDE" en lettres capitales. Je me lève et glisse ce papier sous l'oreiller de Gigi. Quand elle se couchera, elle aura une jolie surprise.

Je sais que je ne devrais pas, mais j'éprouve un malin plaisir à lui faire peur ainsi.

Je regagne mon lit, m'allonge, rabat la couverture sur moi, ferme les yeux et me plaît à imaginer les marques qui demain couvriront le cou de ma camarade chambre. Sur cette douce vision, je m'endors.



Bonjour, bonsoir !

Oui, il y a une petite musique pour ce chapitre. Cela aurait été dommage de ne pas la mettre et lui rendre hommage puisque c'est elle qui m'a énormément inspirée pour ce chapitre.

Alors oui, c'est une musique classique et je sais que bon nombre d'entre nous n'en écoutent jamais... Mais désolée, s'il y a des musiques dans ce roman, ce sera du classique !

A bientôt,

Raven.

L'île du SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant