Chapitre VIII

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AVERTISSEMENT : ce chapitre contient des scènes de violence explicites.

30 mai 1865

- Comment vous sentez-vous aujourd'hui ?

- Je suis cloitrée dans un endroit terne, comment suis-je censée me sentir d'après vous ? répondis-je.

Le médecin baisse les yeux suite à ma réponse et continue d'écrire sur ses feuilles. Je soupire d'exaspération : ces questions plus ou moins idiotes qui théoriquement me servent de thérapie n'ont pas d'autre vertus que de m'excéder. Heureusement, si notre plan réussi, ceci sera ma seconde et dernière rencontre avec lui.

- J'ai entendu dire que vous aviez blessé votre compagne de chambrée, enchaina-t-il, pourquoi ?

Je tourne brusquement mon visage pâle vers lui et affiche un air résolument indifférent. Je hausse les épaules et réponds :

- Je n'en sait rien. Je m'ennuyais probablement.

- L'ennui est donc pour vous une raison suffisante pour avoir recours à la violence ? demande-t-il.

Je soupire encore plus fortement. Sachant que je n'avais nul besoin d'être mesurée avec lui, je lance :

- J'ai conscience qu'il s'agit de votre métier, mais auriez-vous l'amabilité de cesser vos ridicules questions ? Vous savez que si je suis ici, c'est parce qu'on m'a déclarée folle, pourquoi donc voulez-vous trouver une raison dans mes actions ?

- C'est la première fois que je rencontre une patiente ayant conscience de son statut d'aliénée, répondit-il admirativement. Vous êtes différente des autres pensionnaires à bien des égards, Wilhelmina...

- 147WN, le coupais-je. Combien de fois devrais-je vous répéter que Wilhelmina n'est plus ?

- Vous êtes également la première à ne plus vouloir entendre son nom, remarqua-t-il.

- Je serai très heureuse d'entendre à nouveau mon nom, mais ce serai hors de ces murs. N'oubliez pas que c'est vous qui m'avez baptisée 147WN, assumez vos actes, crachais-je.

- Je ne suis pas responsable des actions de cet hôpital. Et je n'approuve certes pas cette pratique.

Il replonge son regard dans ses papiers éparpillés sur son bureau. Son but est évident : éviter toute forme de conflit. Peut-être a-t-il compris que je devient plutôt dangereuse dans ce cas, ou alors, il fait cela pour ne jamais contrarier aucun patient. Lassée d'essayer de tenir une conversation avec cet homme qui coupe court à mes discours, je me lance dans la contemplation de l'extérieur depuis la fenêtre située à notre gauche.

Après plusieurs minutes de silence, sa voix s'élève, claire :

- Que cherchez-vous exactement ?

Je retourne ma tête vers lui. Son regard me scrute, je fais de même, c'est au premier qui brisera le contact. Une minute passe, peut-être deux, je n'en sais rien. Je me décide finalement à parler.

- Maintenant, je recherche ma vengeance. Elle me fait me lever le matin, poursuivis-je, elle me pousse à endurer ces entretient dénués de sens, à tenter d'étrangler ma camarade, en résumé, elle me fait vivre.

Une lueur de folie s'est allumée comme un feu au fond de mon regard. Le docteur reprend son porte plume et ajoute de nouveau quelque chose sur sa feuille. Maintenant, je ne porte même plus d'intérêt à ce qu'il peut écrire, je m'en moque éperdument, je serai bientôt partie.

- Je pense que ce sera tout pour aujourd'hui, dit-il, je vous raccompagne.

Nous nous levons et il m'entraine lentement vers ma cellule, c'est probablement la dernière fois que nous faisons ce chemin.





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