IV.

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Quand la famille rentra à la demeure de la Barbe Bleue, le mariage fut très vite annoncé. Les amies de Lise cessèrent aussi de venir à la maison et même de lui parler quand elle partait aux cartes avec sa mère chez les voisins, alors qu'Anne sortait de plus en plus souvent dans les bals qu'organisaient les villageois en ces périodes festives estivales. Lise se contenta de soupirer en se disant que cela n'était pas grave, et elle fit ses sacs tandis que sa mère rayonnante continuait de préparer avec le Duc la grande fête qui aurait lieu le surlendemain. Lise se sentait un peu gauche, un peu empruntée, elle n'avait pas du tout la tête à aimer où à se marier. Rien que le fait de voir le Duc l'angoissait, une boule se formait dans sa gorge. Pourtant, quand elle était loin de lui, elle pouvait rester des heures accrochée à sa fenêtre brûlée par le soleil à rêver de son futur. La mère d'Anne et Lise était plus heureuse que jamais pour sa fille cadette, mais ne supportait pas l'idée que sa première fille soit encore seule et sorte autant sans s'en soucier.

- Prend exemple sur ta sœur, lâcha-t-elle un soir. Elle, au moins, est une belle et riche héritière à présent, enviée de toutes les paysannes et voisines.

Le plus souvent, Anne ne disait rien. Les autres fois, elle montait dans sa chambre s'y enfermer pour la journée sans qu'on sache ce qu'elle pouvait faire.

Enfin, le jour tant attendu arriva. La mère de Lise entra dans sa chambre à l'aube et la trouva assise parmi ses couettes. Sans s'en formaliser, elle se contenta d'une légère réprimande « tu aurais du dormir plus, tu aurais eu un teint beaucoup plus frais ce matin » puis marmonnait « ma petite fille, ma cadette... déjà à marier... mon Dieu, mon Dieu... » Avant de s'approcher du miroir et de la commode qui habillait la chambre.

Les servantes engagées pour la fameuse occasion arrivèrent un peu plus tard et enfilèrent à Lise une belle robe de soie légère, à volants volumineux, et un bustier qui compressait sa poitrine avec force pour faire ressortier son buste fin et ses hanches bien formées. Sa mère s'occupa personnellement de lacer son haut pour qu'il soit serré à souhait, presque à en faire mal, tandis que les autres femmes s'occupaient de la coiffure. Elles inséraient dans les boucles une multitude de fleurs toutes plus blanches les unes que les autres, les faisant ressortir sur les cheveux roux-blonds.

Enfin la mère de Lise les congédia et fit tourner sa fille pour la contempler : « tu es magnifique... magnifique... ».

Lise hocha la tête, incertaine. Elle avait un peu peur et appréhendait la suite des événements. Sa sœur avait encore fui la maison dans une de ces réunions qu'elle faisait avec ses amies tous les mardis. Elle espérait au moins qu'Anne aurait la décence de venir assister à son mariage parce qu'elle était terrifiée. Et l'attitude enjouée et autoritaire de sa mère ne l'incitait guère à se confier à elle.

Lise se retrouva enfin seule dans sa chambre pour la première fois depuis le matin où tout tourbillonnait autour d'elle dans une effervescence aussi grande que celle des bals de Paris. Elle s'accouda une dernière fois à sa fenêtre et lança un regard vers ses trois énormes sacs qui allaient l'accompagner chez Barbe Bleue. Les pensées tournoyaient à toute vitesse dans son esprit, la laissant pantoise. Dans quelques heures, elle serait femme mariée. Dans quelques heures, elle serait femme unie. Dans quelques heures, elle ne verrait plus jamais cette chambre qui allait tant lui manquer, et tous les bons souvenirs qui resteraient dans cette pièce.

Au même moment, quelqu'un frappa à la porte. Lise se tourna et vit sa sœur émerger. Elle était coiffée, maquillée, habillée, parfumée. Et elle souriait, d'un sourire triste à en fendre le cœur. Lise s'approcha pour l'étreindre et profita de ces derniers instants dans ces bras tant aimés.

Puis, midi sonna. Une carriole emmena la famille jusqu'à l'église tandis que Lise angoissait affreusement. La voiture s'arrêta devant le bâtiment religieux où un petit comité attendait devant les portes. Anne et sa mère descendirent en premier puis la carriole partit se garer sur le côté avec une Lise terrifiée à l'intérieur.

Les invités présents se saluèrent puis entrèrent dans l'Eglise. Anne suivit sa mère et toutes deux se rejoignirent au premier rang, l'une comme demoiselle d'honneur et l'autre comme témoin. Enfin, une musique résonna et le clocher se mit à sonner comme jamais pour annoncer le mariage à tous le comté. Lise releva ses jupons et, son père étant mort et n'ayant aucun frère, s'avança d'un air digne jusqu'à l'autel où l'attendait Barbe Bleue, élégant dans sa redingote de velours. Il souriait derrière sa barbe couleur mer et ses yeux azur pétillaient. Lise rosit et le rejoignit. Il lui prit la main. Lise savait la sienne terriblement moite, aussi elle préféra se tourner vers le prêtre qui les attendait pour commencer la cérémonie.

Un long discours fut prononcé en l'honneur du Duc puis enfin, la phrase fatidique arriva :

- Promettez-vous, Lise de Beaujolais, de rester à jamais fidèle et aimante envers votre mari ?

Sentant tous les yeux braqués sur elle, Lise tressaillit. Ses sens en éveil enregistrèrent la chaleur de la main de Barbe Bleue, son odeur, et le regard de la jeune fille croisa celui du prêtre qui relevait la tête, inquisiteur. L'assemblée était pendue à ses lèvres.

- Oui.

L'assemblée explosa de joie et le manifesta en battant des mains et criant à en perdre haleine. Lise ne détachait plus son regard des iris bleus de son nouveau mari. Les femmes se levèrent poliment pour applaudir tandis que les enfants se jetaient dans les allées.

- Je vous déclare désormais mari et femme. Vous pouvez embrasser la mariée.

La Barbe Bleue se pencha vers l'avant, saisissant le visage de sa femme avec une fougue qu'elle ne lui connaissait pas et l'embrassa. Lise en frémit de haut en bas, une intense chaleur remontant depuis son estomac jusqu'à ses joues qui rosirent délicatement. Une mèche de cheveux roux se défit du chignon compliqué qu'avait effectué la servante de sa même le matin même et vint se plaquer contre la joue du Duc.

- Tu es mienne, susurra-t-il quand leurs lèvres se détachèrent. A jamais.

Lise hocha doucement de la tête alors que les convives filaient vers l'entrée de l'église avec leurs paniers emplis de riz à jeter. Elle n'oublierait jamais cet instant. Celui ou elle avait scellé on destin.

La Barbe Bleue #JustWriteItOù les histoires vivent. Découvrez maintenant