VIII.

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Le lendemain après-midi fut très vite là. Après le repas, Lise retourna dans sa chambre enfiler une robe plus chaude faire de coton et de satin, de couleur beige-orangée aussi éclatant que celui du soleil couchant, et rejoignit son mari dans le vestibule. Celui-ci, le regard fier et la posture presque royale dans son habit de promenade, la fit sortir et l'aida à descendre les marches du perron.

Ils se rendirent vers le jardin qui sortait de l'hiver avec des odeurs entêtantes. Lise apprécia particulièrement la lavande postée au pied d'un chérubin de pierre blanche parfaitement taillée par un artiste italien. Ils remontèrent les allées de fleurs et débouchèrent sur le jardin de légumes, ou le jardinier s'activait autour de cucurbitacées restantes.

Ils terminèrent leur promenade dans le verger, au pied d'un pommier. Lise demanda une pause et ils s'assirent sur un banc de pierre positionné près de la fontaine. Le regard de la jeune fille dériva malgré elle en direction du cabanon, qui n'était plus qu'à une dizaine de mètres un peu plus haut. Si seulement elle pouvait...

A la bosse qu'elle devinait dans la poche du veston de son mari, la clé et même peut-être le trousseau entier était là. Elle tremblait d'impatience à l'idée de découvrir quels secrets se cachaient dans ce prétendu bureau de travail dont l'accès était interdit à quiconque. Pourquoi un tel mystère...

Ils rentrèrent, Lise à contrecœur, et passèrent le reste de leur soirée à deviser sur les questionnements de l'univers, et de religion. Soudain, quelqu'un frappa à la porte, puis sonna carrément. Raoul arriva en trombe, regarda son maître qui s'était levé ainsi que sa femme, et qui lui dit d'ouvrir.

Raoul déverrouilla le panneau de bois et un homme au monocle entra brusquement dans la maison. Son fin manteau ne le protégeait visiblement pas beaucoup du froid de la nuit tombante.

- Il est glacé ! constata Lise ne s'approchant. Céleste ! un café bien chaud !

- Baron de Limsburry, ajouta Henry en apparaissant juste derrière sa femme. Qu'est-ce qui vous envoie à une heure si tardive ?

- Excusez mon retard, monsieur le duc, et mon apparition importunant, souffla l'homme d'une quarantaine d'années. J'ai à vous parler en privé d'affaires importantes.

Henry fronça les sourcils, tentant de deviner par le regard ce que pouvait bien avoir à dire cet intrus au beau milieu de la soirée. Il congédia Raoul, et fit un signe en direction de l'escalier.

- Venez dans mon bureau. Lise, mon ange, voudriez-vous bien demander à Céleste d'amener les deux cafés là-haut ?

- Tout de suite, grinça Lise, encore mise à l'écart.

Elle retourna s'installer dans un fauteuil, agacée, et reprit sa lecture à la page trois, là ou elle s'était arrêtée. Elle tournait furieusement les pages sans savoir ce qu'elle lisait. Ça complotait dans sa propre maisonnée... que pouvait avoir à dire ce baron pour se pointer dans une honorable demeure en milieu de soirée ? Qu'est-ce qui pouvait être si important, que l'on écartait valets, servantes et femme pour en discuter en paix ?

Une affaire d'argent ? Des problèmes financiers ?

Lise rageait en silence depuis une heure quand les deux hommes ressortirent du bureau. Limsburry s'excusa encore, salua les hôtes et repartit aussi rapidement qu'il était venu.

Henry vint s'asseoir comme si de rien n'était aux côtés de sa femme, qui explosa :

- Alors ? que voulait ce baron ? lança-t-elle à brûle-pourpoint.

- Oh ! rien de bien important, répliqua le duc, le regard sombre. Une affaire de famille dans l'Etretat que je dois régler de toute urgence. Mon beau frère vient tout juste de décéder.

- Je suis terriblement désolée pour vous ! s'horrifia Lise devant l'impardonnable erreur de jugement qu'elle venait de commettre.

- Ce n'est rien. Je vais juste devoir m'y rendre pendant deux ou trois jours pour régler ses dernières affaires et me présenter à l'enterrement qui a lieu demain.

Il se tourna vers elle, les yeux brûlants. Lise se sentit fondre intérieurement alors qu'il lui prenait la main. Il la laissait encore seule. Pendant deux jours cette fois.

Puis il retira ses doigts chauds et ouvrit délicatement la poche de son pourpoint. Lise écarquilla les yeux en le voyant sortir son trousseau tant aimé, ce trousseau qui lui en faisait voir de toutes les couleurs depuis leur mariage. Lise contempla l'objet avec révérence. Une petite clé en or attira son attention. Elle était forgée avec un soin extrême, et visiblement polie et lavée régulièrement. Lise ne douta pas un seul instant que ce fut la clé du mystérieux cabinet et sourit sans le vouloir. Le duc ne le remarqua pas et posa le trousseau dans la main de femme, qui en apprécia le contour de chaque clé, les soupesa, se retenant de les embrasser une par une. Enfin, une seule en particulier. La perspective du départ de son mari tombait alors à pic.

- Je vous les confie pendant mon absence. Je n'ai confiance en personne dans cette maison autant qu'en vous, qui êtes mon âme sœur. Vous y trouverez la clé de mes coffres, celle de toutes les portes de la maison. Invitez vos amies, faites une fête, allez acheter des robs et bijoux, amusez-vous : je ne vous demande qu'une chose.

- Laquelle ? balbutia Lise, fascinée par le trousseau.

- Que vous ne touchiez pas à la clé d'or, et que vous me promettiez que vous ne tenterez pas d'entrer dans mon cabiner, quoi qu'il arrive. Ai-je votre parole ?

- Vous l'avez, confirma Lise d'une voix tremblante.

Elle peinait à croire qu'elle avait enfin dans les mains cet objet si précieux qu'elle convoitait depuis trois jours et qui lui permettrait de satisfaire sa curiosité.

Son mari parut soulagé, et referma les mains de Lise sur le trousseau avant de se lever.

- Quand partez-vous ? réussit à demander Lise sans que sa langue ne trahisse son impatience.

- Dès ce soir, lui apprit le Duc. Raoul va seller les chevaux et les attacher à la carriole. Je l'emmène avec moi. Quand à vous, portez-vous bien.

- Ne vous inquiétez-pas, confirma Lise.

Elle monta ensuite dans sa chambre, seule. Elle resta un moment assise dans les couvertures, à contempler les clés qui scintillaient doucement et sonnaient quand elle les prenait, les observant sous toutes les coutures à la lumière des chandeliers.

Enfin, elle se coucha et souffla sur la lumière. Les yeux fixés sur le plafond qu'elle distinguait à grand peine grâce à la lumière de l'astre de nuit, elle songeait au lendemain avec impatience.

La Barbe Bleue #JustWriteItOù les histoires vivent. Découvrez maintenant