De toute beauté

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Ils marchaient seuls, main dans la main. Plus aucune goutte ne tombait depuis un moment, mais l'odeur de la pluie était encore là. Le sol était mouillé, les arbres autour d'eux avaient été dénudés et le lac, glacé par le froid de l'hiver qui avait déjà bien commencé.

Ils marchaient seuls, main dans la main, croisant au passage une ou deux vieilles personnes assises sur les bancs en bois, ces bancs qui avaient été détrempés, et qui était sûrement aussi froids que le lac. Mais ces personnes passées à la retraite s'en fichaient, et comme ils le disaient si bien, "après avoir fait la guerre, ce n'était pas un banc inondé de pluie qui leur faisait peur". Certains donnaient à manger aux pigeons leurs restes de pain rassi, d'autres lisaient le journal, et d'autres encore ne faisaient que regarder les passants, essayant de capter un infime morceau de leur vie.

Ce parc où l'on pouvait voir toutes ces choses était calme, et finalement, ce n'étaient que les voitures, au loin, que l'on entendait rouler et klaxonner pour avoir le passage. Aucun vent n'apportait ces sons, ils venaient par eux-même. Seul un froid d'hiver s'abattait entre les arbres, et le soleil caché par les nuages gris n'apportait aucune chaleur. C'était un temps de novembre parfait.

Elle portait des bottes en cuir marron qui remontait en-dessous de ces genoux et s'associait parfaitement à son jean foncé. Ses cheveux chocolat légèrement ondulés retombaient sur un manteau beige fermé par de gros boutons et une ceinture, et étaient coiffés d'un bonnet en laine blanc. Le paysage qui s'offrait à elle était banale, mais incroyablement beau.

Tout était beau, mais elle ne voyait rien. Elle avait été rendue aveugle. Aveugle de certaines émotions, pour en rencontrer d'autres. Elle ne voyait plus que lui, ne ressentais plus que lui, ne vivait plus que de lui. Ils marchaient seuls, main dans la main, et elle sentait par le poignet qu'elle tenait, son sang, à lui, faire des aller-retours jusqu'à sa main, ressentant ainsi les battements de son cœur. Elle sentait ce cœur comme si c'était le sien. Ses doigts se resserraient contre les siens, et dégageaient une chaleur qui lui donnaient des frissons. Elle ne percevait que cette chaleur. Cette chaleur qui la consumait. Elle était aveugle de sens. Son toucher ne dépendait plus que de lui. S'il avait chaud, alors elle avait chaud. Et il y avait ce parfum qui titillait ses narines chaque fois qu'elle respirait. Ce parfum qui était devenu son oxygène. Le pétrichor qui s'élevait du chemin sur le long duquel ils marchaient se fondaient trop dans le paysage, et elle ne le remarquait même pas. Son odorat ne dépendait plus que de lui, à son plus grand plaisir.

Elle le regardait sans le voir, lui parlait sans ouvrir la bouche, sans émettre un son, sans lui lancer un seul regard qui pourrait le mettre sur la piste. Elle lui parlait de cette façon qu'elle seule connaissait. Et il lui répondait, de la même manière. En tout cas, elle en était persuadée. Elle l'entendait sans même qu'il ne dise quelque chose. Sa douce voix masculine était continuellement ancrée dans son esprit, à lui chuchoter des mots doux, à la complimenter, à lui dire à quel point il tenait à elle. Cette voix elle ne voulait pas s'en séparer. Elle réussissait à dépasser le plus simple moyen de communication en conversant par l'esprit, et par la connaissance de l'autre.

Elle était bien, ici. Ils marchaient seuls, main dans la main, mais qu'importe l'endroit où ils auraient été, il lui aurait convenu. Car ses sens, tous ses sentiments ne dépendaient que de lui. Alors, du moment qu'elle était en sa présence, elle survivait. Une bulle s'était formée petit à petit autour d'elle, englobant son seul moyen de survie, sa bouée de sauvetage, qui formait comme une image qu'elle voyait constamment.

Ils marchaient seuls, main dans la main. Elle était aveugle, mais vive de sens, remplie d'admiration, et pleine d'amour.

Par-delà les apparencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant