Inconditionnel

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Il avait grandi. Tant physiquement que mentalement. C'est surprenant à quel point on ne s'imagine pas que cela puisse passer aussi vite, et que cela puisse prendre des dimensions aussi grandes. 

Parce qu'il n'y avait pas que la taille qui l'avait terrifié, quand elle l'avait remarqué la dernière fois. Elle s'en rappelait très bien, c'était il y avait à peine deux jours. Elle était restée sous le choc quand il s'était retourné. Tout d'abord, il lui fallut relever la tête pour le regarder dans les yeux, des yeux qui exprimaient toutes sortes de sentiments qui n'étaient pas encore présents la veille, pas de cette manière, elle en était certaine. Ils montraient de l'assurance, de l'intelligence, une pointe d'espièglerie, de la générosité, mais surtout de l'amour. Elle le reconnaissait. Il était toujours là, bien présent, et elle s'en assurait chaque fois qu'elle le regardait. Puis, d'un coup d'œil rapide, et qu'il avait cru pensif, elle avait regardé sa mâchoire qui s'était déformée pour devenir plus carrée, plus structurée. Celle-ci était encore nue, cependant elle dû se retenir de la toucher pour s'assurer qu'elle appartenait bien à celui qui se trouvait face à elle. Son regard pétillait, mais plus de la même façon ; son sourire aussi avait changé, il se faisait rassurant, protecteur, et non plus innocent. Il lui parlait avec tant de conviction qu'elle ne pouvait détacher son attention de lui.

Mais lorsqu'il était parti à peine quelques mètres plus loin, elle ne savait plus où elle était. Elle s'était figée. Dans l'espace... Dans le temps... On ne pouvait le distinguer vraiment. Sûrement un peu des deux. Mais son regard l'avait suivi jusqu'à ce qu'il disparaisse de son champ de vision. La bouche légèrement ouverte pour lui permettre de respirer normalement, elle était restée cependant la seule partie de son corps qui fonctionnait malgré son immobilité. Le reste n'avait plus répondu. Elle ne pouvait pas croire un instant que l'homme qu'elle avait eu devant elle était celui qu'elle avait toujours connu. Mais c'était justement parce qu'elle venait de prendre conscience de cet homme, qui autrefois n'était pas tant que ça. Il était plus, il était moins... Elle ne put vraiment le savoir. Comment pouvait-elle le deviner dans l'état où il la mettait chaque fois qu'elle repensait à cela ?

Elle en était tellement fière. Il avait grandi. Depuis plus longtemps qu'elle ne voulait se l'admettre, sûrement. Il prenait ses propres responsabilités, faisait ses propres choix. Et, ô combien cela la faisait sourire. De joie... de nostalgie... Encore une fois, elle ne savait pas. Elle ne savait plus. Comme si l'être qu'elle aimait n'était plus, et avait donné naissance à un autre qu'elle aimait plus encore. Elle l'aimait chaque jour un peu plus, parce qu'elle sentait au plus profond d'elle qu'il était en train de lui échapper. Mais elle ne pouvait s'y résoudre. Alors c'est comme cela qu'elle tentait de le retenir. Même si ce désir, elle le cachait, il était là. Mais comment pouvait-elle l'arrêter ? Il était plein d'entrain, il avait conservé sa joie de vivre mais la montrait sous d'autres jours, à travers des sujets différents d'autrefois. Comme s'il avait oublié tout ce qui l'intéressait dans le passé, tout ce qu'elle avait fait pour le rendre heureux, tous les petits moments qu'il avaient passé ensemble.

Ils ne le passaient plus, ce temps, ensemble. Plus aussi souvent qu'elle le voulait. Parce que ce qu'elle voulait, il n'aurait pu le lui offrir. Elle voulait tout le temps du monde... ou plutôt, tout le temps qu'il leur restait avant qu'il ne l'oublie complètement.

C'était sa plus grande peur. Qu'il l'oublie, qu'il était même en train de l'oublier. Elle le voyait grandi, elle le voyait changé, elle le voyait tel qu'il n'avait jamais été. Et elle remarquait qu'il n'arrêtait pas pour le moins cette ascension vers elle ne savait où, mais qui l'éloignait peu à peu d'elle. Ces changements qui l'avait fait devenir quelqu'un d'autre, elle savait qu'il n'en était pas le responsable. Du moins, pas directement. Elle maudissait parfois le temps de lui avoir pris ce qu'autrefois elle chérissait, puis la seconde d'après se maudissait elle-même pour avoir pensé une seconde à sa vie sans cet être différent, mais en même temps tellement proche d'elle. Car contrairement à ce qu' elle croyait, elle savait pratiquement tout de lui.

La seule chose qu'elle ignorait, c'est que malgré tous ces changements, il était resté précisément le même.

Par-delà les apparencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant