Sombre Pause

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C'était l'heure habituelle. Tous les jours, à ce moment précis, j'assistais à ce spectacle. J'aimais la regarder, j'étais comme envoûtée par ce qu'elle faisait. Elle glissait cette feuille de papier entre ses lèvres, et inspirait à pleins poumons. Et elle recrachait une fumée blanche à la forte odeur. On aurait dit un dragon, dans le jardin, auquel il manquait quelques étincelles. Elle faisait cela tellement naturellement. Comme si elle avait fait cela toute sa vie, et il était clair que ce n'était pas le cas. Alors mon esprit l'imaginait, avec quelques mètres de plus, des écailles sur tout le corps, des crocs acérés et des griffes d'acier. Et je souriais. Je voulais devenir comme elle. Je voulais aussi avoir des pouvoirs magiques et pouvoir me transformer. On pouvait voir mes yeux pétiller, et quand elle m'apercevait, elle souriait aussi. J'ai toujours su qu'elle ne comprenait pas ce que je pensais à ce moment-là, mais j'appréciais qu'elle me sourie.

C'était l'heure habituelle. Assise sur le sofa, je la voyais du coin de l'œil allumer cette flamme, la main face au vent pour la protéger. Elle s'était installée sur le balcon, accoudée au-dessus des pots de fleurs vides, et regardait les immeubles en face. Elle recrachait toujours cette épaisse fumée grise, mais je n'avais plus cette image enfantine en tête. Je ne supportais plus cette odeur et secouais l'air devant mes lèvres pour éviter de la respirer. Je pouvais la détecter à vingt mètres à la ronde, et chaque fois elle me faisait tousser. Mes poumons recrachaient d'eux-mêmes ce poison. Chaque fois que je lui disais d'arrêter, elle ne faisait que souffler et souriait pour faire bonne impression. Mais je la voyais, éprise de cette étrange et infâme substance que je ne pouvais de mon côté plus supporter. Mon sourire avait disparu et je ne la voyais plus comme étant cette forte créature. Au contraire. Je la voyais faible, dépourvue de volonté.

C'était l'heure habituelle. Je passais maintenant la voir quelques fois, et afin de profiter d'elle, l'accompagnais sur ce balcon. Je m'étais faite à l'odeur petit à petit mais ne pouvais toujours pas la supporter quand, par accident, elle m'arrivait en plein visage. Elle faisait cela tellement naturellement qu'elle ne voyait pas que ce poison envahissait les autres. Elle ne voyait rien, en fait. Comme toute habitude qu'on prend, on ne se rend pas compte de ce qu'on fait, et des conséquences que cela implique. Je lui parlais, et elle m'écoutait, tournant sa tête vers l'horizon quelques fois, pour inspirer cet air et le recracher. Chaque fois, le bout de papier devenait rouge vif, et se reteignait l'instant d'après. Je n'avais jamais arrêté de lui dire ce que je pensais de cela, et je n'avais jamais arrêté de lui demander de le stopper. D'en finir avec ce virus qui la tenait à la gorge et la rongeait petit à petit, sans même qu'elle s'en rende compte. Mais moi, je m'en rendais compte.

Ce n'était plus l'heure habituelle. Et pourtant elle recrachait toujours cette fumée. Ce n'était plus la même qu'autrefois, celle-ci émanait directement d'elle. Je la voyais sans pouvoir rien faire. Je voyais ce qu'il restait d'elle. En fait, la fumée n'émanait même pas d'elle, elle était cette fumée. Cette fumée sombre qui s'échappait petit à petit et se laissait emporter par le vent. Je l'avais prévenu. Presque toute sa vie. Elle n'avait jamais arrêté. Elle avait fini de se faire ronger par cette drogue invisible, et il ne restait plus rien d'elle. Que cette épaisse fumée sombre. Cette fumée que moi je relâchais dès à présent dans la mer, envahie par un nuage de souvenirs qui ne voulait pas se dissiper. Un nuage tel que je ne voyais plus rien, aveuglée par ce poison qui avait gagné. Et pourtant je lui avais dit. Je l'avais prévenu. Cette chose était dangereuse. Je l'avais d'abord vu faire en voyant quelque chose de magique, d'amusant, et j'avais vite compris que derrière tout cela se cachait une part bien plus sombre. Mais elle ne m'avait pas écouté. Et à force de recracher cette fumée, c'était elle-même qui était devenu son propre poison.

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Hey ! Petit mot parce que j'avais promis de tenir au courant une certaine @Mad-Phoenix ;) Je n'ai pas gagné le concours d'écriture auquel j'avais participé, mais un très bonne amie à moi a eu la seconde place, alors je ne suis pas trop déçue. C'est un poème sur la liberté qui l'a remporté. J'espère que ce petit texte vous aura plu, à bientôt !

Par-delà les apparencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant