Chapitre 11 : Le chasseur traqué

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Les Terres Brunes


Le vent charriait de puissantes odeurs. Le museau en l'air, sa fourrure ondulant le long de son échine, Arsan flairait les remugles de l'écume couvrant les robes des chevaux, la senteur des crins maculés de poussière ainsi que la sueur humaine sous le fer et le cuir tanné qui caparaçonnaient ces derniers. Les oreilles pointées vers l'avant, il écoutait le battement rapide des sabots sur la terre, les encouragements que les cavaliers prodiguaient à leur monture.

Le Loup Garou tourna la tête, fit pivoter ses oreilles et renifla, mais il ne percevait nulle trace de l'Elfe. Il lécha ses babines moussantes de salive puis laissa pendre sa langue, haletant bruyamment. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Les dernières heures avaient été rudes, et celles à venir ne semblaient pas davantage propices au repos. Il était ressortit exsangue de l'Anduil, la nuit écoulée le laissait rompu. Après avoir mené une course soutenue pour échapper à l'Elfe monté sur sa bête vigoureuse, il se voyait maintenant rattrapé par les Hommes.


Arsan lâcha un grognement irrité et sauta à bas du monticule rocheux sur lequel il s'était juché pour évaluer la distance entre ses poursuivants et lui. Ses pattes flanchèrent sous lui à la réception, et il manqua de s'étaler sur le sol. Ignorant les tremblements qui parcouraient ses membres fourbus, il se mit à trottiner, déterminé à ne pas laisser les cavaliers gagner du terrain.A son épuisement s'ajoutait une faim taraudante, qui le rongeait comme une bête logée dans ses entrailles, tordant son ventre et endolorissant ses crocs. Il s'acharnait pourtant à tracer sa route, énorme ombre noire chancelante de fatigue dans les fourrés.


Cours, le pressait l'écho d'une voix dans sa mémoire. Cours jusqu'à Minas Eriol. Arsan puisait toute sa volonté dans cet ordre, invoquant cette précieuse voix à chaque foulée. Elle était désormais sa seule compagne, pauvre reliquat d'une présence disparue. Le Loup-Garou courrait seul pour la première fois de son existence. Sa gorge fourmillait d'un hurlement qu'il brûlait de lancer au ciel, un appel d'une force désespérée, lancé à sa sœur rousse. Mais il se tint coi. Sa dernière tentative n'avait servi qu'à attirer l'Elfe.


Sa truffe frémit soudain d'un fumet puissant. La brusque promesse de chair et de sang chaud lui fit tourner la tête. Des vrilles aiguë assaillirent son estomacs. Il s'immobilisa net et huma les plaines vallonnées et jonchées de rocs entre lesquels s'écoulaient maints filets d'eaux. L'odeur s'échappait d'un vieux bois fleurant la sève séchée et le lichen. Il ne lui en fallut pas davantage pour bifurquer afin de se diriger vers la ligne d'arbres gris.


L'espoir de se rassasier le ragaillardit. Sa démarche regagna en souplesse tandis qu'il trottait en ondulant des épaules. Ses crocs se découvrirent sous ses babines. Il entra sous le lacis des frondaisons brunes sans prêter attention à l'atmosphère putrescente qui y régnait. Comme il progressait contre le vent, sa proie ne le détecta pas avant qu'il ne se soit suffisamment approché pour que ses prunelles pâles s'y attachent. Le cervidé arrachait des morceaux d'écorce à une branche, pâturant en toute inconscience. Les sens exacerbés d'Arsan percevait les palpitations de son cœur sous sa robe tachetée, l'afflue de sang dans ses membres, le souffle qui soulevait ses flancs. Un grondement rauque roula dans sa gorge, et il bondit.


Les Terres Brunes, Bois


Legolas esquissa un léger sourire ironique à l'idée que le Loup-Garou noir soit sans le savoir chasseur et proie à la fois. Dès l'instant où il avait repéré la sienne, y consacrant toute son attention, sa prudence avait été complètement oblitérée. Pas un seul instant n'avait-il soupçonné la présence de l'Elfe dans les bois. Attestation supplémentaire, s'il en fallait, de son inexpérience. Seul, le jeune loup n'avait aucune chance.


Sitôt que, l'aube pointant, Legolas avait démonté pour laisser filé Airaindil et Arachas, accroissant ainsi la distance entre lui et la bête du Mordor, cette dernière s'était révélé incapable de le repérer. Sans doute était-il peu familier avec la furtivité des Elfes. Le Loup ne s'était alors plus préoccupé que des cavaliers, fuyant ces derniers tandis que son poursuivant l'observait de très loin, fort de son acuité visuelle. En s'avisant de l'état d'épuisement dans lequel se trouvait l'énorme fauve, Legolas avait cessé de le pourchasser pour se diriger vers les bois.Il n'avait eu qu'à patienter.


Et voilà qu'à la fin de la matinée, le Loup-Garou y entrait à son tour. Le suivre fut d'une facilité enfantine : tout à sa chasse, l'animal oblitérait chaque son et odeur qui n'était pas émit par sa proie. Il fut tout aussi aisé de connaître son but. Ainsi l'Elfe se retrouva-t-il embusqué sur la hampe d'un arbre, arc en main, le regard rivé sur la bête tapis en contrebas. Il tira une flèche de son carquois et banda son arme, mais lentement, comme si une quelconque volonté étrangère exerçait une résistance. L'empennage lui chatouillait la joue, la trajectoire de son trait était déjà toute trouvée, mais ses doigts serraient la flèche sans la décocher. Entre les feuillages bruns et maladifs, il observa la bête tapis dans les fourrés. Maintenant qu'il avait perdu la trace de la Louve, son cadet était son seul espoir de la dépister.


Il recula le coude, tendant davantage la corde. Cette traque lui avait déjà fait perdre assez de temps. C'était après un Rôdeur qu'il courrait, pas après des serviteurs de Sauron. Autant achever celui-là tout de suite, avant qu'il n'ait l'occasion de nuire. Babines retroussées, oreilles inclinées, le loup assura ses appuis. D'un instant à l'autre, il lancerait la poursuite. La flèche ne quitta pas la corde.


Après une ultime hésitation, Legolas détendit son arc et le replaça dans son dos.


Alors, tout s'enchaîna en une poignée de seconde. Le fauve s'élança en grondant, provoquant le volte-face immédiat de sa proie. Naseaux dilatés et pupilles agrandit par la terreur, le cerf détala, ondulant entre les arbres avec toute la vélocité et la souplesse que lui octroyaient ses membres fins et vigoureux. Loup-Garou le poursuivit ventre à terre. Ils s'éloignèrent dans les bois, la terre voletant sous leur pattes, toujours inconscients de sa présence.

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