Monts cendrés, quatre ans plus tôt
Les trois loups-garous franchirent à toute allure l'enceinte du camp. Trois éclairs de fourrure, l'un d'un brun-roux, l'autre d'un noir de jais, et le troisième, plus massif, d'ébène moiré de bleue. Leurs pattes martelaient sans bruit la terre rocailleuse. Eyàn savourait la caresse du vent dans son pelage, le défilement du sol sous ses puissantes foulées.
Ils redoublèrent de vitesse en franchissant le couvert des sapins aux aiguilles d'un gris terne, et se distancèrent les uns des autres afin de sinuer habilement entre les arbres. Le plus grand des trois les surpassait à ce jeu-là et bientôt, ce fut peine si Eyàn apercevait encore le bout de sa queue entre les troncs. Elle gronda de frustration. Arsan rappliqua aussitôt à ses côtés. D'un grognement, elle lui donna l'approbation qu'il attendait, et il la devança pour disparaître sous les branches touffues. La Louve n'eut pas à attendre longtemps avant qu'un jappement ne crève la nuit, suivit d'un grondement irrité.
Elle déboucha sur une trouée baignée de clair de lune. Le loup d'ébène, changé en homme, se relevait en s'époussetant pour décoller les aiguilles collées à sa peau diaphane. Nu, tout en muscles sculptés, ses longs cheveux noirs lui tombant au creux des reins, les traits de son visage comme taillés à la serpe avec ses pommettes osseuses et sa mâchoire carrée. Il avait des yeux du même jaune topaze qu'Eyàn. Arsan batifolait autours de lui en agitant joyeusement la queue, babine étirées sur un sourire canidé, manifestement ravit de l'avoir stoppé en pleine course. Lorsque la jeune louve s'avança, Atharos, leur aîné, releva la tête vers elle.
- Vous avez triché, les accusa-t-il.
Si sa voix ne recelait nulle rancune, elle vibrait de réprobation un brin dédaigneuse. Eyàn se glissa dans sa seconde peau afin de lui répondre et se redressa. Aussitôt qu'il la vit faire, son cadet l'imita. L'instant d'après, les trois jeunes gens se faisaient face, habillés seulement d'une clarté argenté.
- Je n'ai pas le souvenir que nous ayons établis des règles, sourit la rousse.
Atharos inclina imperceptiblement la tête sur le côté, les bras croisés. Des mèches lisses comme de la soie lui glissèrent sur l'épaule. Puis sans prévenir, il bondit vers elle, se métamorphosant dans le même temps. Eyàn sentit un poids phénoménal s'abattre sur ses épaules. Elle tomba sur le dos, plaquée contre le tapis d'aiguilles par les pattes griffues de son frère. Après une vaine tentative pour le repousser, elle lâcha :
- Très bien, tu as eu ta revanche. Maintenant, vire de là.
Un grondement sourd, mais dépourvue d'agressivité fut tout ce qu'elle obtint. Elle lut la réponse dans les prunelles ambrées de son aîné : « Ne t'ai-je pas déjà enseigné à te relever seule en toute occasion ?»
Puis, la libérant tout à coup, il la planta là pour filer vers le chêne qu'ils s'étaient fixés comme point d'arrivée de leur compétition. Eyàn ne perdit pas un instant. Elle se rua à sa suite tout en se transformant, et se jeta sur lui. Ils entamèrent une énième empoignade fraternelle, soldée de morsures bénignes, tandis qu'Arsan leur tournait autours, lui aussi changé en loup. Atharos finit par dominer la lutte et repoussa sa benjamine avec une brusquerie qui l'étourdit. Il profita de ce qu'elle ressemblait ses esprits pour disparaître sous les sapins. Les deux plus jeunes se lancèrent ensembles sur ses pas.
Atharos les attendait adossé au tronc, les bras de nouveau nonchalamment croisés sur sa poitrine.
- Vous voilà tout de même, les railla-t-il.
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Rogue Wolves
FantasyAlors que Legolas parcourt le Rhovanion à la recherche du jeune rôdeur après lequel son père l'a envoyé, son chemin croise celui d'Arsan et Eyàn, frère et soeur, et loups-garous anciennement au service du Mordor. Frappés d'une malédiction, ceux-ci s...