Chapitre II: Wake

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Lie,

Te voilà enfin seule. Je t'ai laissé tout ce qu'il faut pour t'habituer à ton nouvel environnement. La semaine avenir sera ensoleillée et pleine de chaleur, un temps idéal pour une nouvelle vie, n'est-ce pas ? Je suis heureux que puisses enfin avoir tout ce que tu désires. J'ai veillé à ce que rien ne te manque. Je t'ai inscrite au lycée Jacques Prévert en terminale littéraire. Tu aimeras. Il est grand et plein d'espaces verts. Le campus est dynamique. Prends tes marques, habitue toi, rencontre de nouvelles personnes, amuse toi, fais toi des amis, grandis, et cache tes cicatrices le plus possible sans éveiller les soupçons. Qui sait, rencontreras-tu d'autres déchus... ? Prends garde, tout de même, certains ne sont pas ce qu'ils prétendent. Il en est de même pour les humains. Préserves-toi ma belle. Je serai toujours là pour toi.

Ton ange,

Paul.

Je m'éveillais en sursaut. Les rayons du soleil perçaient de nouveau à travers les rideaux, toujours tirés. Je tâtonnais le lit. Paul était parti quand je m'étais endormie. Il m'avait parlé durant une partie de la nuit de certaines choses sur lesquelles je n'avais pas pu me concentrer quand j'étais là-haut, comme les réseaux sociaux, leur impact chez les jeunes, comment utiliser simplement un téléphone sans passer pour une idiote car je n'en avais jamais touché, comment utiliser internet et un ordinateur... Il m'avait parlé de la musique, des concerts qu'il avait vu lorsqu'il descendait, du pouvoir de la politique, car c'était un Archange (et ayant ce rôle, il devait parfois s'acquitter de certaines missions en descendant), de la lumière et des gens pressés les uns contre les autres. Des choses à la mode, du style vestimentaire, de l'importance de l'actualité, des guerres, mais ça j'étais à peu près au courant.

L'Iphone était posé sur la table de chevet. A côté il y avait un coffre sculpté avec de l'argent liquide, (assez pour m'assurer durant plusieurs mois voire des années) des vêtements qu'il avait achetés lorsque j'étais encore dans les vapes et de faux papiers qu'il avait fait imprimer en attendant que je régularise ma situation.
J'effleurai les draps et m'imprégnais de son odeur. Je ne savais pas quand il allait revenir. Ce que je savais en revanche, c'est qu'il avait été complice et qu'il m'avait délibérément arraché les ailes parce que je lui avais demandé, un acte de haute trahison selon le Tout Puissant. S'arracher les ailes, c'était nier et renier notre nature profonde. Mais je n'étais ni la première, ni la dernière à désirer de me libérer de cette emprise. J'enviais depuis une décennie déjà les humains. J'enviais leur insouciance, j'enviais leur bonheur et leur souffrance. Je voulais ressentir le contact d'un corps contre le mien, la chaleur du soleil, la colère, la joie, la peur. Vivre une vie d'adolescente puis d'adulte. Le risque était gros et les répercussion énormes. Je devrais garder ce secret toute ma vie, et le cacher à la vue de tous. Il était désormais bien trop tard pour reculer, mes ailes étant déjà arrachées.

Je pensais à Lucifer qui en avait payé le prix. Je déglutis. Lucifer, le plus connu des déchus était devenu un démon parce qu'il aspirait à une totale libération, libération l'ayant menée à la ruine totale de son âme. Il s'était sali et corrompu. Paul avait tenté de me rassurer à plusieurs reprises, me disant que je ne finirai jamais comme lui et qu'il n'aurait qu'à faire profil bas auprès du Cercle durant un temps. Mais je savais qu'ils le puniraient, quoi qu'il arrive. Je frissonnais et passais ma tête sur mes genoux, en chien de fusil. Paul avait tant fait pour moi...

C'était aussi la première fois que j'étais définitivement seule. Je tentais de taire mes pensées pour écouter celles de la pièce quasiment vide. Le parquet craquelait de temps en temps, il était vivant. J'entendis quelque chose couler. L'évier. Des gouttes. Je me levais, tournais le robinet jusqu'à ce qu'il s'arrête et m'avançais jusqu'au fond de la pièce principale, là où le miroir était posé, près des fenêtres. J'aperçus mon reflet dans la pénombre et mes cheveux en bataille me firent rire. Un petit rire enroué et définitivement humain. Je pensais de nouveau à Paul. Des plumes traînaient encore au pied du mur. J'en ramassais une et effleurais ma joue. J'en garderai en souvenir. Puis je tirais les rideaux d'un coup sec. Le soleil envahit la pièce. Je clignais des yeux, aveuglée, le temps de m'y habituer. Je jetais un coup d'œil timide. Une étendue d'herbe me faisait face, des étudiants flânaient à l'ombre d'arbres disposés de chaque côté de l'espace vert. Certains très dévêtus, certainement dû à la chaleur de fin août, d'autres courant un peu plus loin. Des tables en bois où d'autres semblaient réviser pour la rentrée, des piles de cahiers sous les mains. Je parcouru des yeux le campus. Plusieurs immeubles gris surplombaient l'horizon, disposés en arc de cercle, et d'autres encore, plus loin derrière. Paul avait loué pour moi l'un des plus grands studios réservés aux étudiants de tout le campus, qui comportait deux lycées, et un peu plus loin les universités. Il m'avait inscrite en terminale afin de m'ouvrir le champ des possibles rapidement et ainsi pouvoir ensuite choisir une université ou alors décider d'autre chose. Je m'étirais. Je ressentis alors une chose que je n'avais jamais éprouvée jusqu'alors. Une joie immense, intense et inespérée. J'étais libre. Je souris en imaginant tout ce qui m'attendait. J'allais passer une année parmi des humains, me faire des amis, fêter mon baccalauréat avec eux, et qui sait me trouver un petit ami...

FallenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant