Belle

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A travers les débris de la porte de la cave, je me fraie un passage et m'extrais péniblement de l'amas de morceaux de planches. Il faut à tout prix que je prévienne la Bête, j'espère qu'il n'est pas trop tard !

Je m'assure cependant que mon père aille se coucher, il est encore plus malade qu'auparavant, et je glisse Zip, la petite tasse ébréchée, dans un repli de ma cape.

- Philibert !

Je me précipite à l'intérieur de l'écurie et équipe le cheval seulement du licol et des rênes, je n'ai pas le temps de lui attacher la selle. C'est la première fois que je monte à cru mais cela ne m'effraie pas, j'ai d'autres préoccupations en tête, je dois m'activer.
Par la porte que je n'ai pas pris le temps de refermer, un vent glacial nous ébouriffe, comme pour nous dissuader de sortir. J'essaie de motiver l'animal avec une pomme mais il ne veut pas avancer.

- Allez Philibert ! Tu ne peux pas me faire ça ! Pas maintenant !

Je comprends tout à fait qu'il ne veuille pas bouger mais il le faut ! Je ne peux tout de même pas y aller à pied !
Hélas, il semble décidé à rester au chaud pour la soirée. Il a déjà couru tout à l'heure pour m'amener, il fait froid et la nuit va bientôt tomber, les loups vont envahir la forêt... Je frissonne à cette idée. Surtout, ne pas penser à ça.
Je sors de l'écurie et cours vers le village. Il n'y a plus aucun cheval, les hommes les ont tous pris pour aller au château. J'aperçois alors une calèche garée devant la taverne, celle de Monsieur d'Arque, directeur cupide et machiavélique de l'asile psychiatrique de la région.
Je détache en vitesse le cheval de la voiture et le tire par les rênes pour le faire avancer jusqu'à la limite du village. Sans l'arrêter, je grimpe sur le bord d'un petit pont de pierre et saute sur son dos. Au moins, il a une selle. Je lui donne quelques coups de talons et me penche en avant pour prendre plus facilement de la vitesse.
Au bout d'une cinquantaine de mètres environ, alors que nous sommes à peine en pleine campagne, son allure faiblit et il se met à marcher. Il n'a pas l'habitude de galoper, j'ai peur d'arriver trop tard, les villageois doivent déjà être au château.
Je lis le prénom du cheval sur la selle. Ulysse. Je le caresse et lui murmure des paroles d'encouragement à l'oreille.

- Courage mon beau... Tu peux le faire Ulysse... J'en ai vraiment besoin...

Mais il n'avance pas plus vite. Zip, qui s'était fait oublier, sort de sa cachette et lui mord le flanc. Le cheval rue et bondit en avant ; j'ai du mal à canaliser ma force correctement pour ne pas dépasser le tournant allant vers la forêt. Je ne l'aurais pas imaginé capable de cela.

Préoccupée ainsi, je n'ai pas pu vérifier si Zip était toujours là, peut-être est-il tombé du cheval ? S'est-il brisé en mille morceaux ? Je me mords la lèvre à cette pensée, je n'aurais jamais dû montrer le miroir enchanté à Gaston ! Il ne serait pas parti avec pour but de tuer la Bête !
Mais de toute façon, si je ne l'avais pas fait, mon père aurait été emmené et interné !
Dans tous les cas, la faute retombe sur moi, je suis la seule coupable dans toute l'histoire.

Atteinte d'un frisson de témérité, je lâche la bride d'une main et cherche à tâtons la petite tasse dans ma cape. Ne la trouvant pas, je panique ; le cheval le sent et accélère encore plus, n'écoutant plus mes ordres. Ma main revient vite aux rênes mais j'ai eu le temps de sentir Zip sous ma pelisse, contre la ceinture. Rassurée, je me préoccupe à présent d'éviter les arbres imposants qui se dressent sur notre chemin car Ulysse a quitté la route. J'espère que notre trajet sera ainsi plus court, mais je n'en peux rien savoir car le ciel s'assombrit de plus en plus et les ombres s'allongent, se refroidissent.

Le cheval marche à nouveau mais je ne le blâme pas cette fois. Nous sommes perdus. Des ombres se meuvent silencieusement autour de nous. Des loups. Je frappe inutilement les flancs du cheval car il s'est remis à galoper, nous avons retrouvé un chemin.
Peu de temps après, nous faisons face à un poteau de panneaux indicateurs quasiment effacés et pointant dans toutes les directions. Nous avons semé les loups.

Une partie du château étant située au bord d'un gouffre sans fond, je me décide pour la direction semblant la plus dégagée, comme s'il y avait une falaise pas loin. Nous obliquons donc sur cette route et j'aperçois les silhouettes des tourelles, se profilant dans l'ombre.
Nous arrivons près du mur d'enceinte. Je me laisse tomber au pied du cheval, sors Zip de ma poche et le regarde.

- Nos chemins se séparent ici, va dans le château en passant par l'entrée principale. Tu es petit, tu passeras inaperçu. Pour ma part, je vais entrer par les jardins.

Il est d'accord et nous nous éloignons l'un de l'autre. Je tire Ulysse derrière moi, partant vers la droite tandis que la petite tasse part vers la gauche. Des gouttes commencent à tomber, s'écrasant sur mon front, dégoulinant le long de mon visage comme auraient pu le faire des larmes.

Mes pieds s'enfoncent lourdement dans la neige, je suis forcée de ralentir. Je longe la muraille de pierres, la route commence à monter. Je m'appuie sur le cheval pour me soutenir. Il pleut à présent. Des éclairs passent devant mes yeux et des pauses rapides et fréquentes surviennent dans ma tête. Je me rends alors compte que nous nous sommes trompés, je suis partie du côté de l'entrée principale. De toute façon, il est trop tard pour faire demi-tour. Je suis épuisée, je grelotte de froid et mes yeux peinent à rester ouverts.

Alors que j'arrive devant la grille, je sens mes jambes me lâcher et des bras musclés me rattraper et me porter, ma tête dodelinant sur la poitrine de mon sauveur. Ma conscience s'évapore brutalement.

Et si... ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant