Et si... ?

Gaston

Je ferme la porte avec douceur, pour une fois que je ne la claque pas ! Je la verrouille silencieusement, quelle bonne idée j'ai eu d'huiler la serrure auparavant (ou plutôt d'ordonner à mon serviteur de le faire, ça revient au même de toute façon !).

Je m'arrête en haut des escaliers et m'appuie sur le mur. Je me rappelle cette étincelle dans ses yeux quand j'ai dit que la Bête lui préparait une surprise ! Et avec quelle innocence elle a demandé si c'était vrai ! Quelle sotte ! Elle a gobé tous ces stupides mensonges ! Et à chacun d'entre eux, comme elle répétait naïvement tout ce que je disais pour s'assurer de l'authenticité de mes dires ! Une invasion de rats, n'importe quoi, vraiment ! Je n'en reviens pas qu'elle ait été si bête... Je l'ai si aisément bernée, j'ai vraiment trop de talents, au pluriel comme au singulier !

Cependant, elle n'a pas semblé très impressionnée lorsque que je lui ai raconté que je l'avais sauvée des loups. Elle ne peut pas se souvenir, si ? J'espère qu'elle n'a pas eu vent du carnage qu'il y a eu dans le château, sinon elle ne me fera plus confiance, encore faudrait-il qu'elle m'ait cru ! Il ne faut à aucun prix qu'elle sorte d'ici, sinon on la mettra forcément au courant. Je ne peux pas réunir les villageois pour leur dire de lui mentir, ce serait... possible, bien sûr, je suis capable de tout faire mais... ce serait... vraiment déloyal et j'ai parfaitement le sens de l'honneur !

"Parfaitement", j'aime bien ce mot, je lui donne d'ailleurs une raison d'exister ! C'est ce que je suis, parfait, c'est pour cela que je mérite le meilleur et le meilleur, c'est Belle. La plus belle fille de la ville, la seule qui soit assez belle et qui a la chance d'être choisie par moi. Elle est la seule ici-bas que je trouve digne de moi, et je compte bien l'épouser cette demoiselle !

Je l'entends se laisser tomber par terre derrière la porte, elle est réticente à notre mariage, je le sais, mais bah ! Elle n'a pas le choix, elle s'y fera ! Je sais qu'au fond d'elle, elle est folle de moi mais elle ne veut pas se l'avouer, admettre être amoureuse de l'homme le plus beau, le plus fort et le plus intelligent du village ! Dans mon immense bonté, je lui pardonne cette pensée puérile. Elle a de l'orgueil autant que j'ai de sagesse ! C'est évident, elle m'aime ! En même temps, toutes les filles sont folles de moi, forcément elle aussi, il ne pourrait pas en être autrement !

Je la forcerai à s'avouer son amour pour moi, cela ne pourra que lui faire du bien, à moi aussi évidemment, se sentir aimé : quel bonheur !

Je soupire de contentement et descends les marches rapidement, un grand sourire sur le visage. LeFou se précipite vers moi pour me questionner.

- Comment ça s'est passé ?

Je forme un rictus et lui réponds, le regard perdu vers l'extérieur, au travers de la vitre embuée.

- C'était "parfait", LeFou, ça s'est parfaitement bien passé et notre mariage sera une réussite !

- J'en étais sûr mon petit Gaston !

Il me donne une bourrade affectueuse et je l'envoie "accidentellement" glisser sur le sol. Une habitude sans doute, même plus : un réflexe ! J'avais oublié que j'avais tant de force !

Je me relève et pousse la porte, ce qui la fait sortir de ses gonds car elle s'ouvrait normalement vers l'intérieur de la maison, et écrase au passage les doigts de mon ami de mes lourdes bottes.

- Viens, on va à la taverne fêter ça !

- J'arrive Gaston !