POUR TOI, était-il écrit sur l'enveloppe, en lettres capitales et à l'encre rose.
"J'aimerais trouver une jolie salutation, à la hauteur de ta beauté mais rien ne me vient. Je me contenterais donc de te dire, un banal "coucou maman"
Tu sais maman, chaque soir je me répète qu'il est impossible de vivre comme ça. Je me dis encore et encore que je dois agir, pour finalement me coucher, des remords fraîchement remontés et des angoisses en permanences attisées perturbant mon sommeil. J'ai besoin de toi, mais tu ne l'as pas compris. Tu n'es pas présente, et ta joie de vivre s'est faite détruire par je ne sais quel monstre horrible peuplant ce monde. Tu étais mon pilier maman, et de savoir que jamais plus tu ne me soutiendras et me rattraperas, quand mon cul restera misérablement au fond du gouffre me fait peur. Pour être franche, ça me terrorise. Aujourd'hui je t'écris ma vie entière sur ce misérable bout de papier, pour ne pas te laisser en profond désarroi. Ce soir, j'ai décidé de parler, par l'intermédiaire de cette lettre qui tombera entre tes mains une fois mon coeur mort. J'espère que tes larmes salées ne viendront pas entacher ce papier si fin, simplement parce que même si je ne serais plus là pour te contempler, l'idée que tu pleurs par ma faute m'est insupportable. Ce soir, je vais lâchement me faire emporter par la mutilation et autres tortures que j'ai eu le loisir de me faire. Me laisser emporter par ce fleuve indomptable qu'est la vie et qui a réussi à me couler. J'espère que tu ne m'en voudras pas. Après tout, peut être comprendras tu mon choix, toi qui, à de multiples reprises t'es laissée bercer par la dépression."Le téléphone sonna. La sonnerie que je haïssais tant résonna. Son air faussement joyeux m'insupportait. Je me levai à contre coeur, lâchant mon stylo pour aller décrocher. J'aurais très bien pu ne pas répondre, mais ma conscience me murmurait de le faire. J'attrapais le téléphone, un soupir près à sortir de ma bouche.
"-Allô?
-...
-Il y a quelqu'un?
-Allô? Je ne vous entends pas."La ligne grésillait et la voix de l'homme au bout du combiné était entrecoupée de sanglots, son haleine saccadée, rendant ses mots incompréhensibles.
"-Je ne sais pas qui vous êtes ni même à quoi vous ressemblez mais... peu importe."
Il avait repris, la voix légèrement plus assurée. Le fait que je sois une enfant avait paru le détendre et un grésillement presque inaudible avait laissé entendre un soupir de soulagement.
"-J'ai besoin de parler à quelqu'un mais personne n'a daigné m'écouter, me laissant seul face aux malheurs me rongeant. Vous êtes ma dernière chance. Je... ma fille s'est suicidée hier soir. Par ma faute, par la faute de mon inattention constante et de mon divorce. Sa lettre d'adieu était posée sur son bureau, écrite en vert pâle, sa couleur préférée. La boîte de médicaments qui l'a tuée ouverte à côté. À chaque fois que j'arrive dans mon appartement, je revois son corps inanimé avachi sur le bureau et les larmes me renversent. Les arbres tombent par dizaine et la vie m'emprisonne."
Il arrêta de parler et je l'encourageai à poursuivre. Il finit simplement par répondre :
"-Je... désolé de vous avoir embêté avec mes problèmes, je vais raccrocher.
-Non attendez. Votre adresse s'il vous plaît."Il semblait tellement désemparé que le fait de l'abandonner sans rien savoir de lui, hormis son malheur accablant m'attristait.
Cet homme devait vraiment être au bord du gouffre, car il me donna directement son adresse sans même me demander quel usage j'allais en faire. Je raccrochai, un sentiment étrange dans la poitrine.Je me présenta à sa porte, 115 avenue Jean Jaurès.
"-Bonjour monsieur, je suis la fille que vous avez eu au téléphone."
Une larme roula sur sa peau si fine, si transparente. Elle donna l'horrible impression de le briser tout entier.
Je continuai, la larme amère venant s'allier au sentiment indéfinissable de mon cœur."-Quand vous avez appelé, j'étais en train de rédiger ma lettre de suicide, la même que votre fille. Ma boîte de médicaments attendait patiemment sur le bord de mon bureau. Mais le téléphone a sonné. Avec vous, ayant comme seule force le désespoir vous emplissant, au bout du fil. Cet appel aurait pu ne jamais arriver. Une panne de réseau ou un changement de numéro. Mais il est tombé sur moi. Et il m'a démontré que la vie ne tenait qu'au hasard, qu'un homme avait le pouvoir de tout faire basculer.
Vous avez vu en moi une confidente, j'ai entendu en vous un sauveur. J'ai brûlé une lettre d'adieu et vous avez réanimé mon coeur."Il me serra brusquement dans ses bras. Je ne connaissais pas même son nom, mais après tout j'en avais rien à foutre. La vie m'avait conduite ici, pour une bonne raison. Elle m'a détourné de ma mort, comme si, elle même se battait pour faire revivre les morts vivants.
Il releva la tête et ses yeux d'un bleu intense me fixèrent. Il finit par prononcer, un mot si banal qu'il en était exceptionnel."-Merci."
L'espoir venait de se rallumer.
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Les mots perdus
PuisiQuelques textes qui traînent au détour d'une note ou dans une boulette de papier. Des mots en bordel et des idées qui pourraient (ne jamais) servir.