Chapitre 7

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Bien après,

J'assistais lentement au désespoir de mon ami. Depuis son rejet aussi éprouvant que rapide, il avait à nouveau dissimulé son stradivarius son son lit, comme pour oublier son existence. Comme pour se délivrer. Notre relation demeurait distante, silencieuse et triste. Ne pas être au moins sélectionné pour les prochaines auditions lui avait fait un choc, lui avait créé une profonde entaille dans le palpitant qui ne mettrait que trop longtemps à guérir. C'était à peine s'il m'adressait la parole, et lorsque je le questionnais, même si sa réponse pouvait lui ressembler, ses yeux eux trahissaient une certaine inquiétude, une blessure, comme s'ils imploraient à l'aide. Ils ne demandaient qu'à sauver la bonne personne calfeutrée dans cette âme amère.

À chaque fois que je le croisais, je repensais à son bonheur lorsqu'il s'était mis à jouer. Son expression si nouvelle, comme guidée par une passion que je ne lui avais soupçonné. Son demi-sourire confiant et ses iris brillants de joie. C'était comme voir un enfant s'épanouir. C'était évident qu'il avait placé les plus gros de ses espoirs dans cette audition, sans prévoir le moindre revers, comme celui qui lui avait détruit le sien. C'était comme un enfant.

Je regardai encore les photos que j'avais prises à ce moment-là. Les jeux de lumières couraient et jouaient sur sa peau, sublimant le cadrage avantageux. La scène semblait devenir un tout autre décor, comme prévue pour son arrivée. Sa posture que je nommerais pour une fois élégante mettait son instrument en avant, en parfaite harmonie avec l'archer qui entamait une danse semblant sans fin. C'était à coup sûr les plus beaux clichés que j'avais pu prendre.

Lorsque cependant on osait les comparer avec la réalité, c'était comme comparer les deux opposés, le noir et le blanc, le bonheur et la tristesse. Le nouvel Antoine qui s'était exposé à moi durant une partition s'était soudain retiré, assassiné par sa déception. Je déglutis difficilement tandis que mes doigts effleurèrent encore mon appareil, les quelques photos de ce moment que j'avais eu l'audace d'immortaliser. Je le regardai d'un regard fureteur et observait son état. Il s'était à nouveau vêtu négligemment, ses traits s'étaient à nouveau affaissés, découvrant ses fameux cernes sombres. Son visage se crispait uniquement lorsqu'il portait les cigarettes jusqu'à sa bouche pour en absorber le tabac, puis pour le souffler dans l'atmosphère déjà bien assez grise. Je voyais parfois ses doigts trembler, sans doute à cause de la dose de nicotine que son corps subissait chaque heure. Je ne pouvais pas le laisser se faire mourir ainsi.

« Tu devrais essayer de te changer les idées, dis-je en m'approchant, au moins de sortir quelques minutes.
- Si c'est une tentative désespérée pour me faire bouger comme les autres fois, tu perds ton temps. Tu as vu le résultat...
- Je me fais un minimum de souci pour toi, je sais que ce coup-ci t'a été difficile, mais une promenade ne te fera pas de mal, tu ne penses pas ? » je m'efforçai de sourire. J'étais un empathique, je ne pouvais le nier.

Il se releva doucement et me fixa de sa mine fatiguée. Il poussa un grave soupir avant de se lever et de se diriger dans le couloir.

« Qu'est-ce que tu fais ?, m'enquis-je.
- Et bien, je t'écoute. C'est ce que tu veux, non ? »

Je ne sus comment interpréter cette réponse. Était-il énervé, ou juste réaliste ? Pas le temps d'y réfléchir, il s'habilla suffisamment puis quitta l'appartement. Je restai perplexe.

O ~ O ~ O

Antoine descendit les petites ruelles, frottant ses chaussures sur les pavés froids. Il fourra ses mains dans ses poches et enfonça sa tête dans le col de son manteau. Cela faisait pas mal de temps qu'il n'était pas sorti. Le soir tombaient. Au loin, on apercevait le ciel se faire envahir peu à peu de nuances orangées, tiraillé entre le mauve et l'ombre qui le menaçait. La lune ne mettrait pas grand temps à se lever. Mais il replongea ses yeux bleus vers le sol, se savant pas sur quoi fixer son attention, il opta pour analyser ses pieds, qu'il regardait absentement.

Clichés.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant