« Allez lui rendre visite, m'avait dit le docteur, je pense qu'il s'agit de la meilleure chose à faire », mais au fond de moi, je savais qu'il s'agissait au contraire de la pire. Malgré cela, je me dirigeai lentement vers l'appartement dix-sept, avec comme but le numéro dix-neuf. J'imaginais déjà Antoine, s'abandonnant comme à son habitude chez lui, entouré d'une nuée brumeuse de tabac dans laquelle il semblait se laisser mourir. Sous une épaisse carapace d'amertume et de rancœur, une minuscule partie de ma personne espérait le voir mieux que ce comment je le voyais. Je franchis le pont arqué et je fus comme attiré par le bruissement de l'eau. Je me penchai au-dessus de la rambarde de fer et contemplai le vue qui s'offrait à moi. Le soleil, éclairant de ses puissants rayons, créait mille étincelles brillantes à la surface du liquide, secoué par de petites vagues. C'était presque une immense nappe aqueuse que les vaguelettes faisaient onduler calmement dans un bruit apaisant. Je profitai quelques instants de la brise légère qui venait se déposer sur mes joues, voyageant dans mes mèches de cheveux de teinte charbon. Mes yeux descendirent de l'horizon pour venir fixer cette étendue bleue hypnotique.
À force de regarder la rivière, on pouvait y voir une étrange lueur sombre, comme si l'on en perçait une partie pour en fouiller les abysses. Cette eau, d'apparence si tranquille et douce, se révélait être plus ténébreuse que jamais. Un éclair scintillant attira mon attention comme un aimant. Un éclat d'un blanc écarlate renvoyait la lumière que l'astre du jour lui infligeait. L'eau emportait sur son rivage une chaîne de maillons métalliques, remuant selon son strict désir, l'engloutissant de son possible en l'appâtant toujours plus vers ses tréfonds. Se pourrait-il qu'elle soit reliée à un bloc de pierre ? Des flashs du soir d'automne me revinrent, un à un, semblant vouloir me torturer. Ma carapace se fendit. Je décidai de quitter cette échappée trompeuse et lui tournai le dos.
Je fourrai les mains dans mes poches et repris le chemin de l'appartement, désormais plus troublé qu'à mon départ. Je m'arrêtai devant la porte de bois sombre. Je saisis entre mes doigts l'anneau auquel pendaient deux clés au tintement métallique aigu. Mais alors que je m'apprêtais à les insérer au cœur de la serrure, la porte d'entrée s'ouvrit d'elle-même au premier contact avec un léger grincement. Je m'avançai, surpris, et remis les clés dans ma poche. Je montai les escaliers et me stoppai, attentif. De bruyants bruits résonnaient comme des tambours dans l'immeuble. Je montai les quelques marches restantes et me rapprochai de ce tapage qui battait les murs et frappait le sol.
Mon sang ne fit qu'un tour lorsque je me dressai devant la porte de l'appartement d'Antoine, complètement brisée d'épaisses fissures au niveau de la poignée. De profondes marques imprégnaient la matière, formant des trous - comme ceux que l'on pouvait faire avec un pied-de-biche.
D'un geste violent, voire désinvolte, je plaquai la porte contre le mur juxtaposé et surpris mes deux congénères dans le salon. L'un écrasait Antoine de tout son poids et l'autre venait de briser une pièce de bois dans son poing fermé. L'assaillant du blond sortit de son manteau un objet brillant sous la lumière. La silhouette d'un canon se dessina contre sa tempe palpitante. L'autre éclata le stradivarius contre la paroi la plus proche. Il cria. L'instrument émit un dernier son, un dernier souffle aux notes affreuses. Il le jeta sur le canapé sombre. Antoine regardait pendre piteusement au bout des extrémités des cordes les deux parties à peine distinguables de ce qui en restait. Le pistolet s'enfonça à nouveau contre sa peau laiteuse.
« Hé ! », criai-je d'une voix intentionnellement forte.
Les deux hommes me fixèrent de leurs yeux de chacals - de véritables charognards. Un quitta son emprise sur Antoine et pointa mon cœur avec son canon. Lorsque ce dernier plia enfin ses membres, un pied s'abattit sur sa nuque pour le maintenir immobile. Un grognement rauque retentit.
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Clichés.
Short StoryBasil, un jeune Anglais expatrié va faire la connaissance d'Antoine, un Français en dépression à peine plus âgé que lui. Le britannique va alors découvrir que celui-ci est bien plus surprenant qu'il ne le laisse paraître...