Le petit traînait des pieds. Ses chaussures mal lacées ramenaient avec elles la boue du sentier. Il portait sur ses faibles os le poids de son cartable brun. Il marchait en ligne droite, titubant parfois. Lorsqu'il baissait les yeux, il voyait l'accumulation de larmes qui menaçait de s'écouler pour venir inonder ses joues blessées.
De l'autre côté du chemin, un homme l'attendait. Il voyait son protégé avancer lentement, d'une démarche dénuée de tout enthousiasme. Lorsque le petit arriva vers lui, il leva la tête bien haut pour le regarder. L'homme avait un visage souriant, strié de rides de bonheur. Son teint avait été rendu rougeâtre à cause des longues heures qu'il avait passées sans protection solaire. Il n'était pas bien âgé, mais déjà, de petites mèches grisonnantes venaient perturber l'uniformité claire de ses cheveux. Ses yeux bleu océan pouvaient noyer de bonté et d'amour n'importe qui. Le petit aimait à se perdre dedans, intrigué par une telle couleur.
Mais pour une fois, l'homme ne souriait pas, les muscles de son visage tous relâchés indiquaient une certaine inquiétude. Les larmes s'écoulèrent sur les joues rebondies du petit. Son visage se crispa et ses petites mains vinrent rejoindre ses yeux pour se débarrasser de ce surplus de liquide lacrymal, en vain. De brefs spasmes le secouaient tandis qu'il haletait et reprenait comme il le pouvait son souffle. Au bout de quelques secondes, de faibles gémissements franchirent ses lèvres. L'homme s'accroupit à sa hauteur, et posa une main affectueuse sur sa tête pour venir ébouriffer ses mèches blondes.
« Que t'arrive-t-il, mon garçon ? », lui demanda-t-il de sa voix rendue rauque par l'alcool.
Il ne put répondre immédiatement, seulement contrôlé par ses plaintes sonores. Quand celles-ci s'apaisèrent, il put expliquer les raisons de son chagrin :
« Les autres à l'école, gémit-il, il me tapent.
— Pourquoi font-ils cela ? continua l'homme en écartant quelques mèches dorées de l'enfant pour inspecter son front.
— Parce que... parce que j'ai pas de parents », pleura le petit.Ses larmes reprirent et il fut à nouveau incapable de parler. Mais il n'en fallut pas plus à l'homme, il souleva le garçonnet dans ses bras et le fit s'appuyer sur l'une de ses épaules, la tête réfugiée dans son cou. Il entendit ses reniflements amplifiés et sentait l'humidité de ses joues contre la sienne. Le garçon agrippa fortement sa chemise, comme pour y décharger sa peine et sa colère. L'homme traversa le chemin et vint s'abriter sous son toit, poussant de sa main calleuse sa porte.
À l'intérieur, il tira d'un geste une chaise de bois et y déposa le petit. Ce dernier gardait les yeux vers le vide, vers ses genoux écorchés, comme avec une mine renfrognée. Ses gémissements avaient cessé, sans doute par ses forces victimes d'amenuisement. Seuls ses yeux bouffis, ses joues sillonnées de traces mouillées et son teint rougeoyant trahissaient ses récentes émotions. Ses iris s'attardèrent sur les chaussures brunes et mal lacées qui retenaient une épaisse plaque boueuse sur leurs semelles. L'homme l'aida à se défaire de son cartable, qui le penchait en arrière du fait son poids important. Il se tut, et continua de baisser le regard. L'homme s'absenta.
Le garçon descendit de sa chaise d'une poussée et vint rejoindre le comptoir de la cuisine - qu'il n'atteignait que sur la pointe des pieds. Il sentit le carrelage froid de ce dernier sur ses mains, qui saisirent un petit cadre argenté. Encadrée, on pouvait voir une photo assez récente, datant seulement d'une ou deux années. Il prit le soin de ne pas salir la vitre de ses mains crasseuses, et regarda attentivement le cliché enfermé derrière celle-ci.
Il se voyait lui, souriant de son sourire édenté de plusieurs dents de lait, dans les bras de cet homme qui avait toujours pris soin de lui. Mais rien de plus. Pas de mère aimante. Pas de père qu'il prendrait comme modèle. Seulement cet homme, qui avait fait preuve de plus d'amour que ses propres parents. Était-ce pour cela qu'on le battait ? Parce qu'il était aimé non pas par deux adultes, mais un ? Parce que malgré tout, il me pouvait pas l'appeler « Père » ? Il n'y avait en réalité que trop de raisons qui le faisaient différent. Il maudissait tous les autres, ainsi que leurs esprits stupides.
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Clichés.
Short StoryBasil, un jeune Anglais expatrié va faire la connaissance d'Antoine, un Français en dépression à peine plus âgé que lui. Le britannique va alors découvrir que celui-ci est bien plus surprenant qu'il ne le laisse paraître...