CHAPITRES 10 à 12

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CHAPITRE 10

Une fois rentré dans ses appartements, Maxime se mit au travail et se pencha sur le dossier où Berlio avait griffonné EGOUTS – URGENT en épais traits rageurs. La chemise contenait trois cent soixante-dix feuilles remplies de colonnes, tableaux, explications et commentaires.

Après deux heures et demie de lecture en diagonale, quelqu'un frappa à la porte. Maxime fronça les sourcils en tendant l'oreille. Il pourrait s'être endormi devant ses rapports et être en train de rêver d'une visite. C'était la solution la plus plausible aux vues du peu de visites qu'il recevait. Le faible toc-toc se fit de nouveau entendre, plus fort cette fois, et Maxime se décida à bouger vers sa porte, se demandant s'il s'agissait d'une blague. En l'ouvrant, il se dit que cela aurait mieux valu.

Devant lui se trouvait Ulric, se dandinant nerveusement d'une jambe sur l'autre et lissant sa ridicule moustache. Il porta la main à son crâne et glissa ses doigts le long de la raie qui séparait ses rares cheveux de part et d'autre de sa petite tête. Le ridicule de son collègue aurait fait sourire Maxime si ce physique ingrat ne cachait pas l'esprit le plus retors et la langue la plus venimeuse qu'il n'ait jamais croisés.

-Ulric ? Qu'est-ce que tu fais là ?

-Huuum et bien, je me suis dit, tout compte fait, que tu aurais besoin d'un peu d'aide.

Maxime écarquilla les yeux une seconde et demanda à Ulric de répéter, pensant avoir mal entendu.

-Oui. Écoute, je sais que nous ne sommes pas dans les meilleurs termes, mais je crois qu'il est temps d'oublier tout ça.

Si Maxime avait eu le moindre doute sur la sincérité d'Ulric, le large sourire de celui-ci suffit à le convaincre de sa bonne foi.

Quand il était enfant, Maxime vivait dans un bourg situé à quelques kilomètres au nord d'Angarda. Il passait le plus clair de son temps dans un petit bois proche de la masure qu'il habitait avec ses parents.

A l'inverse de beaucoup de petits garçons, pour qui jouer dans une forêt voulait dire : tailler en pièce d'ignobles créatures/arbres avec une épée/un bâton, se construire des cabanes dans les branches ou se laisser rouler le long de pentes herbeuses les plus élevées possibles en riant aux éclats, Maxime observait les animaux. Il pouvait rester une après-midi durant, heure après heure, à observer allongé dans de hautes herbes le point d'eau autour duquel se réunissaient parfois une biche, un renard ou d'autres animaux.

Un soir d'été, alors qu'il rentrait chez lui après une après-midi plutôt décevante (il n'avait qu'entre-aperçu un blaireau fatigué qu'il avait déjà vu à plusieurs reprises et qu'il avait surnommé le Vieux, et récolté en prime un paquet de piqûres de moustiques), Maxime était tombé nez à nez avec une belette. Elle sortait d'un terrier de lapin et s'était arrêté une demi-seconde devant lui. Cela avait suffi pour marquer le garçon qui avait conservé en mémoire l'expression de satisfaction malsaine de l'animal. La belette avait fait une étrange grimace – plus tard dans la nuit, Maxime, ou Max, comme l'appelait parfois son père, avait raconté à ce dernier en pleurant que la belette lui souriait – en dévoilant ses petites dents pointues maculées du sang frais des lapereaux qu'elle venait de dévorer, puis s'était enfuie.

Maxime se remémora l'épisode de la belette et réprima un frisson malgré les seize années écoulées depuis cette journée et bien que l'animal qui avait nourri les cauchemars du petit garçon de nombreuses nuits, au grand dam de ses parents, était mort depuis bien longtemps.

Il faisait désormais face à une autre espèce, un animal bien plus fourbe qu'une belette qui, après tout, n'avait fait que subvenir à ses besoins en assouvissant sa faim. Le sournois sourire d'Ulric disparu de son visage alors que celui de Maxime se décomposait lentement.

RUNES - Livre 1 : La couleur de la trahisonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant