RUNES - Livre 1 : La couleur de la trahison

CHAPITRES 22 à 24

CHAPITRE 22

La forêt était plongée dans un silence tranquille, presque inquiétant. Des chênes noueux aux rares feuilles grises, de grands châtaigniers et des hêtres maladifs bordaient le chemin, le plongeant dans l'ombre de leur frondaison qui ne laissait pas percer le soleil déclinant.

Les arbres ressemblaient à des géants déformés par la folie ou la maladie. Ils lançaient leurs branches tordues et quasiment dépourvues de feuillage vers le ciel, comme pour implorer de l'aide. Une désagréable odeur de végétation moisie flottait dans l'air mais Anis regretta malgré tout de ne pas pouvoir continuer sa route un peu plus longtemps. Encore quelques minutes et le soleil laisserait place à la nuit. Par chance, Anis entendit le bruit de l'eau sur sa gauche. Elle quitta le sentier et enjamba un large fossé puis monta une petite côte en s'agrippant aux arbres noirs, car la pente était très raide.

Se guidant à l'oreille, elle s'enfonça entre les arbres et trouva une large rivière qui coulait furieusement entre des rochers. La jeune femme se rafraîchit le visage et les mains puis vida sa gourde et la remplit d'eau fraîche. Elle allait s'éloigner pour installer son campement quand elle aperçut de gros champignons aux pieds d'un chêne dépourvu de branches, de l'autre côté du cours d'eau.

Le courant était trop fort et la rivière trop profonde pour être traversée à pied ou à la nage. La jeune femme allait renoncer quand son ventre gargouilla de faim. Elle jeta un nouveau regard aux champignons en songeant au délicieux ragoût qu'elle pourrait se préparer pour ce soir.

Écoutant l'appel de son estomac, Anis se décida à tendre une jambe pour monter sur une pierre plate qui dépassait des flots et avança précautionneusement, de rocher en rocher. Arrivée au milieu de la rivière, et aucune pierre n'étant directement à sa portée, Anis sauta sur un large rocher oblique. Mais en atterrissant dessus, elle glissa sur la mousse qui le recouvrait et tomba sur les fesses. Petit à petit, elle parvint à se relever, manquant de glisser et de tomber à l'eau plusieurs fois. Elle resta quelques minutes immobile, attendant que son cœur cesse de battre la chamade puis reprit sa progression.

Finalement arrivée sur l'autre berge, Anis cueillit quatre énormes girolles qu'elle nettoya dans la rivière puis la retraversa dans l'autre sens, en prenant bien soin d'éviter le rocher plat couvert de mousse.

Elle plaça quelques cailloux en cercle puis rassembla au centre des herbes sèches et des brindilles pour faire un feu. La navigatrice sortit une grosse écuelle en ferraille de son sac de voyage, la remplit d'eau et la plaça sur le feu. Elle coupa les champignons en morceaux avant de les jeter dans l'eau bouillante qu'elle remua de temps en temps avec un petit bâton assise face à la rivière. Anis regrettait de ne pas avoir de viande à rajouter au bouillon quand elle se souvint tout d'un coup du baluchon que Clarisse lui avait offert. Elle le sortit de son sac et l'ouvrit, déballant une belle miche de pain aux céréales, un bout de fromage aux arômes fruités et huit grosses tranches de poisson séché. Anis jeta deux tranches dans sa préparation en salivant d'impatience et mordit dans le pain à pleines dents.

Un craquement résonna derrière elle et Anis se retourna mal à l'aise. Elle se sentit subitement observée. La jeune femme scruta les buissons d'où il lui semblait que provenait le bruit de branche brisée mais ne distingua rien, la lueur de son petit feu de camp ne perçant pas les ténèbres de la forêt. Espérant qu'il ne s'agissait que d'un loir ou d'un renard attiré par l'odeur de la nourriture, Anis leva la voix pour faire fuir l'animal.

-Je t'ai vu ! Sors de là ! cria-t-elle en lançant un petit caillou dans les buissons.

Anis sursauta de surprise en entendant un petit cri de douleur et un rire gras. Une silhouette se redressa d'entre les feuillages, aussitôt suivie d'une autre qui continuait de s'esclaffer.