Chapitre 9

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Il nous a annoncé sans attendre que l'opération s'était bien passé, qu'ils avaient réussi à arrêter l'hémorragie, que son état était stable, puis ses lèvres se sont articulées sans que je n'entende le son qui en sortait. Je n'écoutais déjà plus, submergée par une bouffée d'oxygène qui a bien faillit me faire tomber dans les pommes, ma main s'est détendue, ma respiration a cessé de s'interrompre, et une expiration de soulagement s'est frayée un chemin dans tout mon organisme. Et tout de suite après, je me suis demandée si j'avais le droit de souffler, et si mon souffle n'était pas égoïste. Devant le regard grave du chirurgien, j'ai compris que même si une bataille était gagné, la guerre restait compromise (si seulement elle faisait des compromis !). Ce que ses paroles scientifiques sur la colonne vertébrale de ma sœur m'ont immédiatement confirmé : même avec des traitements, même avec de la rééducation, il n'y avait que peu de chance qu'elle remarche correctement. La désillusion était dur à encaisser, mais j'ai lutté intérieurement pour ne pas crier. Un cri qui s'est finalement transformé en murmure :

- Je peux la voir ?

- Elle est encore inconsciente, et on fera tout pour qu'elle ne retombe pas dans le coma. Mais je suis navré, vous ne pouvez pas allez en salle de réveil.

C'était la pire des phrases parmi toutes celles qu'il venait de prononcer. J'ai eu un mouvement de recul, puis j'ai acquiescé sans contredire. Je me suis rassise, et avant que mes émotions ne me submergent de façon parfaitement contradictoire, j'ai appelé successivement Yolanda et Eileen. Elles aussi ont été soulagés, avant de se reprendre, posant une question sur l'après, auquel elles ont répondu de façon similaire : un silence, puis une note d'espoir qui ont égaillé leurs voix endormis. Je me suis laissé bercer par ces réconforts, ces ondes positives ; je voulais y croire. Et surtout ne pas être la seule personne à y croire. Je pense m'être assoupis une petite demi-heure, avant qu'un infirmier m'autorise à accéder à sa chambre. Toujours en soin intensif. Je lui ai demandé pourquoi, si on nous racontait que son état était stable, elle ne descendait pas en médecine interne. Sur quoi il m'a adressé un pâle sourire, et m'a ouvert la porte.

Angélique, elle était allongée sur le même lit que tout à l'heure, un bandage à la tête en plus, qui se rajoutait à son inquiétante panoplie. Je suis restée une minute à l'entrée de la pièce, paralysée. J'avais peur, une boule dans mon ventre pesait sur moi de tout son poids. L'infirmier est retourné à ses occupations, et je me suis décidée à rentrer.

Un pas. Elle respirait par un long tuyau.

Deux pas. Un vrombissement atroce sortait de la machine auquel le tuyau était relié.

Trois pas. Une demi-douzaine de perfusions partaient dans toute les directions depuis son bras frêle.

Quatre pas. Une chaise en cuir, à côté de son lit, semblait attendre qu'on s'y assoit.

Dernier pas. Ses yeux étaient fermés.

Je ne peux même plus voir son regard, le vrai, le sien, inimitable.

J'ai repris ma respiration, n'ayant pas pris conscience de mon apnée. Je me suis installée, et ai prit sa main parmi tous ces fils qui la retenaient prisonnière. Elle était froide, mais sa main restait sa main, ses doigt vernis restaient ses doigt vernis, du même bleu nuit que celui de cette dramatique soirée. Je suis resté longtemps sans rien dire, ma main caressant la sienne, guettant un signe. Mais rien. Les médecins ne pouvaient confirmer qu'elle allait sortir de cet état d'inconscience partielle, ou si elle allait replonger dans les profondeurs de cette obscurité sans lune. Ma sœur était stable. C'était la seule chose positive qu'ils parvenaient à me trouver, mais pour combien de temps ? Un jour, un mois, une semaine ?

Let me help youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant