Chapitre 6- L'annonce

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Kate s'était achetée un rasoir. Un rasoir d'homme, pour se mutiler encore plus fort qu'avec son compas. Des fois, elle le faisait avec un cutter. Elle adorait ça. Plus elle se faisait du mal, mieux ça marchait. Mais ce n'était qu'éphémère.

De plus, sa mère ne l'aidait pas. Ce matin-même, avant de partir au lycée, cette dernière  ne cessait de se ronger les ongles et de gigoter tel un poisson hors de l'eau. Bien sûr, lorsque Kate lui demanda la raison de son étrange comportement, sa mère s'empressa de détourner le sujet. Sa mère l'inquiétait, vraiment. Elle avait l'attitude de quelqu'un qui avait quelque chose à se reprocher et évitait constamment son regard. 

Et puis, ses notes chutaient. Elle ne prenait jamais le temps de réviser, et faisait ses devoirs à la va-vite, sans prendre le temps de les comprendre ni de se concentrer. Mais au lycée, négliger ses cours, ce n'était pas vraiment une bonne idée.

Kate tombait en pleine dépression. Elle y était déjà tombé, d'ailleurs. Elle avait même déjà envisagé de se teindre les cheveux, pour que son calvaire se termine une bonne fois pour toutes. Mais cela ne servirait à rien. Son visage était parsemé de tâches de rousseurs, et puis, elle aurait l'air encore plus faible qu'elle ne l'était déjà auprès de ses bourreaux. En son for intérieur, Kate savait qu'ils n'en avaient pas après elle seulement pour ses cheveux. Elle avait déjà aperçu deux ou trois roux dans ce lycée, et, à sa connaissance, on les laissait en paix. Non, il y avait autre chose. Une autre raison pour laquelle on s'archarnait tant sur elle. Mais Kate avait beau fouiller dans son esprit, elle n'arrivait pas à la trouver.

Kate, assise sur son lit, ressassa ses souvenirs. En Irlande, la vie était beaucoup plus facile. Elle avait beaucoup d'amis, elle était aimée par tout le monde... Mais Kate ne s'occupait d'eux qu'au collège. Pour elle, ce n'était pas des amis proches, juste des personnes avec qui passer le temps. Aujourd'hui, alors qu'elle n'avait plus d'ami, Kate se rendait compte de leur importance. 

Dans les travaux de groupe, elle était toujours obligée d'intégrer un groupe où personne ne voulait d'elle, et où le lui faisait bien sentir par des insultes plus tranchantes les unes que les autres. Dans toutes les insultes qu'on lui balançait à la figure, celle qu'elle détestait le plus était le mot "pute", ou, moins familièrement, "prostituée". Elle connaissait la véritable définition de ce mot, et d'être traitée de ce terme la révoltait. Dans ce lycée, il y avait un groupe de filles qui méritaient complètement ce titre, mais elles, évidemment, elles n'étaient pas rousses. Et puis, elles étaient populaires. Kate, elle, devait être la personne la plus impopulaire de tout le lycée. Son vieux prof de biologie acariâtre devait certainement être plus aimé qu'elle.

En Irlande, elle vivait dans une jolie petite maison campagnarde. Là-bas, ils avaient de bons moyens. À présent, sa mère et elle habitait un petit appartement de 76 mètres carrés au centre de Chicago, et mal insonorisé. On entendait toujours le bruit de la circulation et lorsque ses voisins du dessus faisaient des fêtes (pratiquement tous les samedis, on avait l'impression day être tellement on entendait tout ! Mais entendre tout, cela pouvait être assez embarrassant surtout lorsqu'elle les entendait uriner.

Quelquefois, la mutilation ne suffisait pas, et Kate était tentée d'utiliser des solutions à risques, comme l'alcool, pour noyer son chagrin. Mais elle résistait, même si elle n'allait bientôt plus pouvoir se retenir. Avant, la jeune fille avait toujours été gaie et pleine de vie. A présent, elle était  était aussi joyeuse qu'un directeur de pompes funèbres.


***


Après avoir débarrassé la table, Kate fut appelée par sa mère.

- La chérie, j'ai à te parler, dit-elle d'une voix curieusement trouble.

Kate ne s'attarda pas sur ce dernier détail, elle était si heureuse que sa mère lui reparlait normalement !

Elle s'assit en face d'elle, sur le canapé.

- J'espères que c'est une bonne nouvelle, dit Kate, un peu inquiète.

- Hum...en partie...répondit sa mère.

"En partie ?" Kate ne tenait plus en place.

- Kate, lui annonça sa mère de but en blanc, tu vas être grande sœur.

A cet instant, Kate dut l'impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Avait-elle bien entendu ?

- Ma...maman, parvint-elle à articuler d'une voix tremblante, tu...tu vas avoir un bébé ?

Elle hocha de la tête en lui souriant.

Kate n'en croyait pas ses oreilles. Elle était sûre que ce n'était qu'un rêve, et qu'il lui suffirait de se pincer pour en sortir. Elle se pinça, au bord de la folie. "Non ! se dit-elle, complètement déboussolée. Ma mère est vraiment enceinte, et d'un homme que je ne connais pas ! L'a-t-on violée ?" 

- Ce...c'était contre ton gré, ou bien...?

- Non, lui répondit-elle. Mais nous n'avions pas prévu de l'avoir. Le bébé.

"Je rêve, enragea Kate, ma mère est enceinte d'un parfait inconnu sans l'avoir voulu ! Ils ont couché ensemble alors que cela ne fait que 3 mois que nous sommes ici ! "

- Et le père, tu pourrais me dire qui c'est ? Tu ne m'as jamais présenté d'homme depuis la mort de papa ! Et, en parlant de papa, lorsque vous l'avez fait (l'acte), c'est pour m'avoir, et vous étiez mariés, non ?! Et c'était ta première fois ! Ce gars-là ? Depuis quand le fréquentes tu ? Pourquoi vous ne vous êtes pas protégé ? Ça ne fait même pas 4 mois qu'on est là ! Et papa, tu l'as oublié pour un autre ?

Kate avait sorti cette dernière phrase sans réfléchir, aveuglée par la colère. Elle savait que son défunt père était un sujet sensible pour elle et sa mère, mais il fallait que ça sorte. Mais lorsqu'elle la vit au bord des larmes, elle fut tentée de s'excuser.

- Désolée, maman. Tu es une adulte, responsable de tes actes, je n'ai pas à te donner de leçons. Mais comprends-moi, c'est un vrai choc une nouvelle pareille... Parce que je n'ai jamais vu ce père !

Elle avait menti. Ce n'était pas seulement pour cela, mais aussi parce qu'ils ne se connaissaient pas assez avant de passer à l'acte. Et parce qu'elle n'avait pas besoin ni ne voulait de petit frère ou de petite sœur. Elle avait trop de problèmes. Au lycée, et maintenant, avec sa mère ! Décidément, la vie de Kate n'était qu'un cauchemar.

- Je te comprends, ma puce, répondit sa mère qui ne semblait pas lui en vouloir. Avec James Horton -c'est son nom-, mon patron, nous nous connaissons depuis seulement deux mois. C'est allé vite, je te l'accorde, mais c'est l'amour. Et l'amour, ça ne se contrôle pas. 

" Son patron ! Et il n'a pas songé un instant à l'augmenter !"

- C'est un homme extrêmement doux, et responsable, continua sa mère d'un ton amoureux, je suis sûre qu'il comprendra. Il nous prendra sous son toit, et nous vivrons heureux, tous les quatre.

Kate n'en était pas si sûre. Elle était remplie de haine, contre son beau-père et le futur bébé. Et même s'il était responsable, comme sa mère disait, jamais elle ne le lui pardonnerait.

"CAROTTE"Où les histoires vivent. Découvrez maintenant