Alors que la mer et le soleil entamaient leur fusion à l'horizon, les ténèbres recouvrèrent de leur épais manteau la Roche-sur-mer. Les portes de la ville se refermèrent derrière les derniers voyageurs, et les auberges bondées à cette heure tardive devaient refuser des clients. Les salles communes étaient remplies de joueurs de dés, d'ivrognes, de marchands, de colporteurs et de simples voyageurs en quête d'aventures. Une fois la nuit tombée, les rues sombres et étroites de la ville devenaient un coupe-gorge pour qui n'avait pas d'escorte. Au nord de la ville, sur un à pic surplombant la mer, la forteresse toisait la ville de toute sa hauteur. L'antique forteresse avait selon les légendes été façonnée dans la falaise par les dieux eux-mêmes. Les murs d'enceinte mesuraient au bas mot une vingtaine de maisons empilées les unes sur les autres. À l'intérieur les nobles et les personnes de bonnes familles festoyaient, tandis que sur le chemin de ronde les soldats scrutaient l'horizon dans un silence à percer les tympans. Sous la forteresse, des kilomètres de galeries formaient les prisons de la ville. Elle était réputée pour être la plus horrible et inhumaine du continent, seulement battue par celle de Trøndheim au niveau de la taille. Aucun rayon de lumière ne parvenait jusque dans ces galeries interminables, d'où s'échappaient des cris tout sauf humains. La petite armée souterraine était composée essentiellement de bourreaux et de gardiens. Dans une des plus profondes cellules, réservée aux prisonniers politiques croupissaient le fils du seigneur Lilian, Mathieu. Le visage ensanglanté, le bras cassé, et les vêtements en lambeaux, il semblait en bien piteux état. La cellule était plongée dans le noir complet et infestée de rats qui mangeaient le peu de nourriture qui parvenait dans la cellule de pauvre adolescent. La bouche pâteuse il décida de boire de l'eau, qui avait plus un goût d'urine que du liquide vital à l'homme. À cet instant précis, un rayon de lumière inonda la petite pièce insalubre. C'était le gardien de cette section de la prison souterraine.
- Debout là-dedans, et plus vite que ça. J'ai pas toute la journée gamin !
Le jeune homme se releva péniblement, ses muscles tremblants comme des feuilles secouées par une brise.
L'envie de tordre le coup à ce gardien de prison, envahit l'esprit de Mathieu. Une folie dans son état actuel ! Renonçant à cette idée, l'adolescent avança docilement jusqu'à la porte.- C'est pas trop tôt, j'ai un casse-croûte à avaler moi p'tit gars. Bon je dois t'emmener jusqu'à la surface après c'est plus mes oignons.
"À la surface ? Pourquoi", songea Mathieu. "Que va-t-il encore m'arriver ? De toute manière rien ne peut être pire que ces séances de torture."
Dans le couloir, la lumière des torches meurtrit les yeux du jeune homme encore habitué à la noirceur de sa cellule. Après quelques minutes à déambuler dans le labyrinthe de couloirs qu'était la prison, ses yeux finirent par s'habituer à la lumière ambiante. Finalement après ce qui parut être une éternité les deux hommes débouchèrent à l'extérieur de la prison. Quel bonheur pour Mathieu de revoir la lumière du soleil, après tant de jours passés dans les entrailles de la terre. Revenant vite à la réalité, il aperçut un garde qui les attendait là.
- J' vous laisse le gamin, je descends manger mon casse-dalle, dit le gardien de prison.
- Tu peux redescendre dans tes tunnels gardien, je m'occupe du traître.
L'adolescent se laissa conduire par le garde, la sensation du soleil chauffant la peau était la plus agréable qui soit. Même pendant la saison froide, le fond de l'air restait chaud dans la ville côtière. Les soldats patrouillant dans la grande forteresse, étaient peu vêtus, mais compensaient la légèreté de leur armure par des armes redoutablement efficaces. L'environnement de Mathieu ne cessait de changer, d'abord austère au sortir de la prison, il devient de plus en plus luxueux au fur et à mesure de son parcours. Cette profusion de richesses atteint son paroxysme devant l'entrée du palais royal.
Deux gardes coiffés d'un voile permettant de supporter la chaleur, vérifièrent l'identité des deux personnes. Une fois fait, la grande porte s'ouvrit devant eux. Les couloirs en marbre blanc, et les colonnes finement ciselées avaient de quoi impressionner n'importe quel citoyen du royaume. Le garde et Mathieu arrivèrent devant une nouvelle porte massive. Le garde s'arrêta brusquement et fit volte-face.- C'est ici que je te laisse, attends que l'on t'ouvre les portes et répond aux questions qui te seront posées.
- D'accord, que la lumière veille sur toi, déclara à tout hasard le jeune homme.
Le soldat cracha aux pieds de Mathieu.
- Je n'ai que faire de la lumière d'un traître, avance maintenant !
Mathieu s'assit à même le sol et attendit que les portes s'ouvrent. Il attendit une heure, deux heures, puis trois. La nuit tomba sur la ville. Il surprit une conversation entre deux gardes de la forteresse.
- Lieutenant, lieutenant ! Il n'y a pas de patrouille sur le mur ouest, est-ce normal ?
- Oui soldat, c'est jour de fête et nous sommes en période de paix. Les gardes sont partis faire boire un coup et tu devrais tâcher d'en faire autant.
- Oui, oui bien sûr mon lieutenant, j'y vais de ce pas.
La porte s'ouvrir à cet instant, et fit sursauter le jeune homme. Il hésita et finit pars se relever, ce qui ne fut pas une mince affaire aux vues de sa condition physique déplorable. Une fois les portes ouvertes, il entra dans une pièce noire de monde. Retenant son souffle, il avança dans un silence complet.
Les nobles présents de chaque côté le foudroyaient du regard. Il arriva enfin devant le seigneur, entouré de ses conseillers. Il réussit tant bien que mal à se prosterner devant lui. Le silence devient encore plus pesant.- Mathieu Cornewall, est-ce bien vous, demanda un conseiller
- Oui monsieur, répondit le concerné.
- Oui ser ! Tu es ici car, tu es accusé de haute trahison. Qu'as-tu à dire pour ta défense ?
À quoi bon mentir, je suis perdu. Ils vont me pendre à l'aube. Finissons en au plus vite.
- Rien je suis coupable d'avoir comploté avec Aldeas, et à ce titre d'être un traître.
- Tu as au moins le mérite d'être honnête, mais ce n'est pas cela qui te sauvera, intervient le seigneur.
Les conseillers se concertèrent rapidement, et un autre conseiller situé à droite de son seigneur déclara.
- Mathieu Cornwall vous êtes déclaré traître du royaume, vous serez donc pendu à l'aube sur la place publique.
Une acclamation de l'assemblée accueillit cette nouvelle. La salle jusqu'alors silencieuse, s'enflamma.
- Crève sale chien galeux ! entendit sur sa droite Mathieu.
- À mort le traître ! entendit-il sur sa gauche.
- Un peu de silence messieurs ! ordonna le seigneur.
Le calme revient progressivement dans la salle.
- Mathieu Cornewall avez-vous une dernière volonté à nous exprimer ?
- Oui, j'aimerais dire que si j'ai fait ce choix, pour soutenir Aldeas...
Un serviteur entra en trombe dans la salle du jugement, et courut jusqu'au centre de la salle.
- Quelle est donc cette interruption ! J'espère qu'il y a une bonne raison à cela sinon je risque fort de m'énerver.
- Mon seigneur ! Nous sommes attaqués !
Les nobles présents dans salle en restèrent bouche bée et les yeux écarquillés.
- C'est impossible nous ne sommes pas en guerre, qu'elle est donc cette mauvaise blague.
- Mon seigneur, c'est une armée fantôme, tous les soldats sont revêtus de noirs et ils ne portent pas de bannière.
À cet instant un bruit sourd ébranla la forteresse, suivit d'un deuxième, puis d'un troisième. Toutes les personnes présentes se regardèrent sans bouger.
- Tous à votre poste de combat, cria le seigneur.
Dans la plus grande des confusions, tous les nobles sortirent de la pièce. Mathieu en profita pour sortir voir ce qui se passait. Une fois dehors, il faillit tomber à genoux devant le spectacle qui l'attendait.
La ville était en feu.
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