Prologue

80 12 3
                                    

"Tout est si tendu et maussade."

Marshall Mathers, Beautiful

Je me suis souvent demandée si  je pouvais être heureuse. C'est pourquoi, même lorsque j'étais avec lui, je me demandais combien de temps cela allait durer.

Maintenant, au moins, je sais. Plus jamais. Plus jamais je ne serai heureuse.

C'était ainsi et je devais m'y résoudre, on ne pouvait être heureux éternellement. Un jour ou l'autre, tout disparaît. D'ailleurs, quelques jours après la fin de ma vie, je me suis vue dans un miroir et il n'y avait aucun reflet. J'étais devenue vide et c'est ce que pensaient très certainement les autres, ceux qui autrefois étaient mes amis, ma famille.  De toute façon, eux aussi n'existaient plus. Ils me regardaient  et pensaient que mon amour n'aurait jamais dû exister. Ils ne disaient rien mais je l'entendais.

Voilà pourquoi je me dirigeais aveuglément vers une vie hermétique à toute influence. Je ne voulais plus connaître ni beautés, ni éclats, ni douceurs. Et même si j'emportais ma souffrance avec moi, elle pouvait bien m'interpeller comme elle le voulait, j'allais être bientôt apte à ne plus lui répondre.

J'arrivais enfin vers le lieu de mon repos où tout semblait engourdi. Les arbres eux-mêmes étaient insensibles au vent alors que mes cheveux lacéraient  mes joues. Le portail devait être impressionnant autrefois mais le fer, usé et tordu par endroits, lui donnait un aspect misérable. Je tentai une dernière fois de fermer grands les yeux mais je le savais, rien n'allait se passer, plus rien. Je pris mon souffle profondément et  j'eus alors une pensée sans grand intérêt, si j'étais ici, c'était parce que je me perdais à tout jamais.

Dans un dernier effort, j'appuyai sur la sonnette, et presque simultanément, le portail s'ouvrit. Monsieur Hermil était toujours aussi ponctuel. C'est lui qui me fit entrer et laissa la voiture au-dehors. On ne distinguait de la bâtisse que les marches du perron, puis la porte qui s'ouvrit et se referma.

Le corps trembla mais le froid n'était rien, la douleur n'était rien, la vie n'était rien.

Ferme Grand Les YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant