CHAPITRE CINQ

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En descendant dans la rue, je remarquai que le temps était toujours aussi maussade. Il eut été difficile de s'en plaindre puisque jusqu'ici, le soleil et la chaleur avaient régné en maître. Je me rendis donc au lycée, vêtue d'un jean et d'un pull gris en laine. Ma colocataire m'avait prêté de jolies bottes en daim mais je regrettais déjà de ne pas avoir ajouté une écharpe à ma tenue.

J'étais à peine entrée dans le hall de l'établissement que mes yeux étaient déjà à la recherche d'Adam. Il n'apparaissait nulle part mais il n'y avait pas de raison de s'en alarmer : nous étions dans la même classe, j'allais donc forcément le croiser.

La sonnerie retentit, me rappelant la raison principale de ma présence ici : aller en cours. En me dirigeant vers la salle de classe, je repérai Kéra et Damien m'adressant des signes de la main. Je les saluai également puis pressai le pas : je souhaitais m'entretenir avec Adam avant que le cours ne commence.

La plupart de mes camarades étaient présents mais lui, n'arrivait toujours pas.

Je choisis le pupitre du milieu sans quitter la porte d'entrée du regard.

- Ouvrez vos livres page 173, nous allons commencer, déclara M. Garcia, le professeur d'espagnol, tout en fermant la porte.

Résignée, j'obéis à la consigne. Il était sûrement en retard. Comme une réponse à ma réflexion, de petits coups timides se mirent à résonner contre la porte.

- Entrez ! Tonna le professeur, agacé.

Un garçon entra et j'eus beaucoup de mal à reconnaître Adam. Ce fut un choc : il était méconnaissable et semblait égaré. Il portait des lunettes et son allure était pour le moins débraillée. Un bas de son pantalon était relevé et lui arrivait au mollet ; sa chemise paraissait mal boutonnée et son manteau, porté à l'envers. Il avait le même visage, caché cependant par des cheveux désordonnés et dont les traits étaient tirés. La métamorphose était évidente et je n'étais pas la seule à l'avoir remarquée. Les murmures des autres élèves envahissaient la pièce.

- Je suis désolé du retard, Monsieur, murmura-t-il.

M. Garcia lui demanda son nom afin de le noter sur la fiche de présence. Adam, pour la première fois, leva la tête et observa la classe. Lorsque ses yeux se posèrent sur moi, sa main se mit à trembler. Je le scrutais avec entêtement. Brusquement, la vérité s'imposa d'elle-même. Le regard que je connaissais, celui que j'avais reconnu la veille, n'était plus là.

- Allons mon garçon, j'attends. Tu nous as suffisamment mis en retard, dit le professeur.

- Julien, Julien Degoutte.

- Très bien, allez-vous asseoir.

Le jeune garçon s'installa au premier rang, tout près de la porte.

Il n'avait visiblement pas l'intention de se retourner vers moi. Encore une fois, j'étais perdue et tout ça commençait à m'agacer. À quoi jouait-il ? À qui avais-je parlé à la bibliothèque ? Pourquoi avoir donné un faux nom au professeur ? Il agissait comme si notre discussion n'avait jamais eu lieu, comme s'il n'était pas Adam. Peut-être ne l'était-il pas... J'essayai de comprendre en vain. Il avait menti sur son nom, c'était certain : soit à moi, soit au reste de la salle. Je tentai de me remémorer le jour précédent et mon cerveau embué émit une hypothèse : il était plus logique qu'Adam mente aux autres. Cette idée ne m'était pas venue par orgueil mais plutôt à l'égard des événements qui avaient entouré nos rencontres. Ses apparitions et disparitions mystérieuses, son invitation à fermer grand les yeux : tout ceci devait sans doute rester secret. Il se protégeait en se faisant appeler Julien. L'explication me paraissait cohérente mais je devais m'en assurer.

Les minutes s'écoulèrent lentement, puis, enfin, le cours s'acheva. Je me précipitais à l'extérieur de la salle mais Adam avait été beaucoup plus rapide que moi. Je me mis donc à courir pour le rejoindre. Parvenue à sa hauteur, ma main se posa sur son épaule.

- Adam ?

Il me regarda en silence. Ses yeux étaient incontestablement différents et je ne ressentais plus l'attraction de la veille.

Tout à coup, il retira violemment ma main et se détourna avec répugnance.

Dans l'incompréhension la plus totale, je le suivis et l'arrêtai de nouveau.

- Je suis Julien Degoutte. Et toi, ne m'approche plus jamais. Articula-t-il avec haine.

Puis, sans ajouter un mot, il tourna les talons et partit. Je m'adossai au mur, estomaquée. Ma tête me faisait mal et ma vue fut brouillée tandis que l'évidence s'imposa à moi : je le croyais. Il n'était pas Adam. Il avait peut-être le même corps, la même voix, mais ce n'était pas lui. Se pourrait-il que mon cerveau l'ait entièrement imaginé ? Comme un personnage que l'on s'invente pour ne pas être totalement seul. Soudain, la probabilité de ne plus le revoir me vint à l'esprit. Je me laissai tomber le long du mur. Il n'avait sûrement jamais existé... Cette réalité tournait en boucle dans ma tête. Mes yeux se mouillèrent et je croisais les bras pour comprimer le mal invisible de ma poitrine. J'en étais réduite à ironiser sur mon sort : au lieu de m'inquiéter de ma propension à la démence, j'étais surtout peinée de l'absence du jeune homme. Si j'étais folle, cela signifiait qu'il n'existait pas. Adam n'était pas réel.

Ferme Grand Les YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant