CHAPITRE UN

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Je n'arrivais toujours pas à y croire. Le programme d'échanges avait accepté ma demande, ce qui était déjà surprenant aux vues du nombre de candidats. Et le plus étonnant venait de mes parents. Ils m'autorisaient, moi, leur fille unique, à partir loin d'eux, durant toute une année. Cela relevait presque du miracle. J'avais pratiquement terminé de remplir ma valise. De toute façon, ils m'apporteraient le reste de mes affaires en cas de besoin, probablement lorsqu'ils viendraient me voir à Noël. Et puis, l'avantage avec la France, c'était qu'on pouvait se fondre dans la masse. Je n'avais donc nullement besoin de me préoccuper de ce que j'allais porter : des jeans et des baskets feraient l'affaire. Je glissai un carnet aux couleurs chatoyantes dans la pochette extérieure du bagage : ma mère, passionnée de scrapbooking, l'avait personnalisé à mon intention. Elle y avait ajouté deux lettres en bois vernis : S.B. C'étaient mes initiales, Sarah Bailey. Elle espérait que je mettrais à jour une sorte de carnet de bord, mais je n'arrivais pas à m'imaginer remplir ces pages puisque mon voyage en lui-même me paraissait encore hypothétique, comme si une partie de moi refusait de partir.

Tout ceci me semblait tellement irréel. Je n'avais jamais vraiment songé à quitter Lyddington, le village où j'avais toujours vécu. C'était vraiment une décision prise sur un coup de tête et si le billet de l'Eurostar n'était pas posé sur mon bureau, je me serais demandé si ce n'était pas encore un rêve. Mais il était bien là.


Évidemment, le village allait me manquer : le calme des rues, la petite forêt qui se trouvait en amont du chemin, les voisins d'un certain âge qui avaient toujours un souvenir à raconter... Même le brouillard omniprésent me manquerait. Cependant, il était temps de faire ce que tous les jeunes de mon âge avaient déjà fait : partir vivre ma vie, loin du silence et de l'ennui que j'affectionnais tant. Ils étaient comme un baume qui engourdissait l'esprit et me faisait du bien.

- Sarah ! On ne va pas tarder à y aller !

La voix de ma mère, en bas de l'escalier, était pleine d'appréhension mais elle essayait de donner le change. Je leur étais tellement reconnaissante de me laisser partir. J'avais à peine insisté, et leur accord était d'autant plus surprenant.

- J'arrive, maman !

J'attrapai ma valise d'une main – elle était plus légère que prévu — et je saisis également le livre de Maupassant, en espérant que ma vie ne serait pas aussi pathétique que celle de Jeanne. Avant de fermer la porte de ma chambre, je lançai un dernier regard à la fenêtre... Lyon, me voilà.

Ma mère m'attendait, toujours aussi radieuse, même si ses yeux étaient brillants. Sans rien dire, elle me serra le bras et je lui souris en posant ma main sur la sienne. « Ton père nous attend dans la voiture. », me dit-elle.

En effet, la vieille Toyota ronronnait déjà, je m'installai à l'arrière et collai ma tête contre la vitre froide. Une pointe de tristesse apparut sur mon cœur mais je ne la laissai pas éclore. Qu'est-ce qui clochait Chez moi ? Alors que les jeunes de mon âge s'amusaient et faisaient la fête, je préférais passer mes soirées à lire dans ma chambre. J'essayai tant bien que mal de refréner l'angoisse qui grandissait. Mon ventre était noué tandis que je tentai de me rassurer : la peur n'avait aucune raison d'être, je n'étais pas la première lycéenne à bénéficier de ce programme d'échanges. C'était une chance et il était inadmissible que je puisse la refuser. Oui, partir en France était une bonne chose. Je devais vivre ma vie et voir ce qu'il se passait en dehors de mes bouquins.

- Ça va, ma chérie ?
- Oui maman, ça va, je... Tout va bien. Et vous alors, ça ne va pas être trop dur ?
Mon père se mit à rire.
- Voyons Sarah, n'inverse pas les rôles, on devrait pouvoir s'en sortir. Je ris de bon cœur avec eux.

Ferme Grand Les YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant