Les journées passèrent et je m'habituais petit à petit à ma nouvelle ville. Je pouvais me rendre à certains endroits sans que l'on ne m'accompagne. Ainsi, chaque matin, je partais en direction du Musée des Beaux-arts dans l'espoir de croiser à nouveau le mystérieux jeune homme. Je voulais savoir qui il était et comment il parvenait à disparaître aussi vite. Malheureusement, il ne se manifesta plus et son existence me semblait de plus en plus incertaine.
J'avais lu sur internet qu'un changement de vie, tel un déménagement, pouvait avoir des conséquences sur le comportement et parfois même provoquer des épisodes de délire. Je me fis donc à l'idée que cet inconnu était le fruit de mon imagination. L'appréhension avait altéré ma vision des choses. Et puis, mes journées étaient trop rythmées, par les visites et les démarches administratives, pour que je puisse m'attarder sur cette rencontre surréaliste. Lyon me paraissait gigantesque. Heureusement, lorsque Jenny ne pouvait pas m'accompagner, Kéra la remplaçait. C'était une jeune fille peu bavarde mais très gentille, elle ne semblait pas s'ennuyer à mes côtés alors que l'on pouvait marcher un long moment sans parler. Elle me laissait découvrir la ville à ma façon : j'observais tout, avec la plus grande attention, même ce qui semblait être sans grand intérêt ; comme une pancarte dont le message avait été effacé par la pluie ou les pavés irréguliers du Vieux Lyon.
Je n'avais guère le temps non plus de me reposer le soir : Jenny voulait me présenter à ses nombreux amis. Elle m'entraînait dans des soirées au cours desquelles ma maladresse menaçait de s'étaler à tout moment. J'essayais souvent de m'isoler sur un siège, à l'écart de cette ambiance que je ne comprenais pas, mais il y avait constamment quelqu'un pour m'inviter à danser ou pour engager la conversation. Je n'arrivais pas toujours à suivre et j'avais l'impression d'être... Décalée. Oui, c'était le mot. Lors de ces soirées, je ne parvenais pas à me mêler aux autres alors que je ne rencontrais pas ce problème dans la journée.
Cela finit par m'exaspérer et, un soir, je réussis à convaincre Jenny d'y aller seule. Elle ne crut visiblement pas un mot de mon histoire de fièvre et de rhume mais elle accepta. J'appelai mes parents pour prendre de leurs nouvelles mais personne ne répondit. Je n'insistai pas, j'avais parlé à ma mère la veille, et tous les autres jours passés ici depuis mon arrivée. Ils étaient probablement sortis au restaurant comme ils aimaient le faire de temps à autre.
En entrant dans ma chambre, j'aperçus un de mes livres, posé sur le sol, au pied de mon lit. J'avais pourtant rangé mes affaires dans les placards et je me demandais comment il avait pu atterrir là. Jenny détestait lire... J'en conclus que Kéra avait probablement voulu le feuilleter un jour où je tardais à sortir de la salle de bains. Je me baissai pour le prendre et caressai la couverture du bout des doigts : les Méditations poétiques de Lamartine, l'un de mes poètes favoris.
J'ouvris le livre au hasard et mes yeux tombèrent sur quelques vers :
Partout, sur ta rive chérie
Où l'amour éveilla mon cœur, Mon âme, à sa vue attendrie, Trouve un asile, une patrie,Et des débris de son bonheur.
Flotte au hasard : sur quelque plage Que tu me fasses dériver,
Chaque flot m'apporte une image ; Chaque rocher de ton rivageMe fait souvenir ou rêver...
Un sourire se dessina sur mes lèvres, c'était magnifique. Je me mis à bâiller, un coup d'œil à ma montre m'indiqua qu'il était 21 heures. J'avais visiblement beaucoup de mal à garder la forme ces temps-ci et je me trouvai un peu paresseuse : les cours n'avaient même pas encore commencé. Je me refusai donc à dormir si tôt et entrepris de faire le ménage dans l'appartement. En saisissant le balai, j'eus un bâillement si long que ma mâchoire émit un léger craquement. Mes sourcils restaient froncés et je manquai de trébucher sur la table basse. Juste avant que mes forces ne m'abandonnent, je me jetai sur le canapé. Je ne sentais plus mon corps et sans m'en rendre compte, j'avais fermé les yeux. Mon cerveau essayait de trouver une explication cohérente à ce qui était en train de se produire. Mes réveils étaient assez matinaux depuis quelques semaines. J'avais pris mon dynamisme pour de l'enthousiasme mais en y réfléchissant, il était possible que se soit surtout dû à mes nuits.
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Ferme Grand Les Yeux
Teen FictionLorsque Sarah Bailey se décide à quitter son village natal pour la France, elle se met à percevoir des choses étranges. Qui est ce jeune homme qu'elle est la seule à voir ? Comment fait-il pour disparaître aussi vite ? Si vous fermez grand les yeux...