CHAPITRE QUATRE

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Je restai assise à la même place jusqu'à ce que la bibliothécaire vienne me presser de sortir. Je me retrouvai dans l'escalier puis dans la cour du lycée. Finalement, mes pieds m'entraînèrent à l'extérieur de l'établissement. Je marchais comme un automate, j'étais désorientée et je me moquais de savoir où mes pas me conduisaient. Le bitume défilait sous mes yeux avec rapidité et accaparait mon cerveau.

Cependant, au bout de longues minutes, celui-ci se remit à fonctionner. Ce que j'avais refusé d'accepter, ce que mon esprit avait tenté de percevoir de manière rationnelle : tout cela avait pris une tout autre dimension face à Adam. Il m'avait obligé à voir les choses sous un angle différent : je n'étais pas folle, je ne rêvais pas. Mes rencontres avec lui avaient été réelles. Je m'assis sur un banc, totalement déboussolée. La peur concurrençait ma joie et je tremblais d'émotions.

J'avais toujours voulu croire en mes rêves, à ce que je lisais, aux films que je regardais. Je me disais souvent qu'un écrivain ou un réalisateur avait forcément vécu une part de réalité de ce qu'il produisait. L'imaginaire dérivait obligatoirement d'une part de réel. Cependant, en grandissant, cette certitude s'était estompée et voilà qu'elle revenait avec force.

Pourtant, parmi tant d'autres, un détail m'échappait. Adam était différent de celui que j'avais brièvement vu lors de nos courtes rencontres. Les questions fusaient dans ma tête comme du pop-corn. Pourquoi m'avait-il demandé si je le voyais lorsqu'il s'était approché de moi devant les portes du musée ? Son arrivée en classe, tout à l'heure, était la preuve que je n'étais pas l'unique personne à le voir, tout ceci était absurde. Comment avait-il pu quitter le train aussi vite ? « Ferme grand les yeux » : qu'est-ce qu'il avait voulu dire? Y avait-il un lien entre ma fatigue croissante et son existence ? Était-ce lui l'ombre qui m'avait caressé le visage ?

Peut-être avait-il été témoin, je ne sais comment, de mes hallucinations et il voulait s'amuser de ma folie. Cette possibilité me fit rire, c'était ridicule.
Il me paraissait évident qu'Adam, bien qu'il semblât parfois moqueur, n'était pas du genre à être méchant. Je repensais à notre discussion. Il m'avait dit qu'il vivait avec son frère et sa sœur. Je me souvins de la profonde tristesse qui avait parcouru les traits de son visage lorsque je lui avais demandé pourquoi il ne vivait pas avec ses parents. Sa réponse résonnait encore en moi, comme une plainte « je n'ai pas de parents. » Avait-il dit dans un souffle. Mon ventre se serra à nouveau. Les traces de sa peine avaient été fugaces mais j'en avais perçu toute la grandeur et j'aurais voulu subir mille maux pour la lui éviter. Plus que son apparence qui me paraissait bizarrement étrangère, c'était l'« intérieur » : son âme insondable qui me happait littéralement. Je frémis, en me remémorant Adam, j'étais dans un état proche de l'allégeance. Nous avions parlé seulement deux heures. Pourtant, j'avais l'impression qu'il était à mes côtés depuis des années. Sa façon de terminer mes phrases, nos goûts communs pour la littérature et le cinéma ; et tant de choses non dites qui semblaient nous lier. Si c'était ça l'amour, j'aurais aimé le connaître plus tôt. Je repris mes esprits.

Certes, j'étais prête à accepter l'incroyable car, à cet instant, je devinais que j'étais aux frontières d'évènements plus qu'anormaux. Cependant, si j'étais plus indulgente envers moi-même et prête à ne pas me penser folle, j'étais néanmoins incapable de trouver une explication, même fantastique, à ce que je venais de vivre.

Mon téléphone vibra et je décrochai. Jenny me demanda où j'étais, je regardai autour de moi et me rendis compte que j'étais assise en face du lycée. J'avais tout simplement fait le tour de l'établissement. Peut-être plusieurs fois. Elle me conseilla de l'attendre, visiblement inquiète du ton de ma voix : j'avais beaucoup de mal à parler et à respirer normalement. Je restais assise sur le banc jusqu'à l'apercevoir, en compagnie de Rémi.

Ferme Grand Les YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant