Chapitre VI - Réapprendre à rêver

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« Au lieu de se plaindre de l'obscurité, mieux vaut allumer la lumière. » – Confucius

« Jack... »

Harold, qui vient de monter sur le toit en passant par le fenêtre de la chambre que lui a prêtée Jamie, soupire sa tristesse quand il s'aperçoit que le dénommé ne réagit pas. Il est assis sur le toit depuis déjà deux heures, s'appuie sur son bâton comme pour ne pas s'effondrer, et le viking était trop hanté par cette image pour faire quoi que ce soit d'utile.

« Jack, parle-moi. S'il te plaît. »

Si ce n'est du silence, il n'obtient rien du garçon. Sans s'avouer vaincu, le chef vient s'asseoir assez tristement sur le toit, lui aussi, à un mètre cependant du Gardien, comme n'osant pas trop l'approcher. S'il ne lui parle pas, au moins, Harold veut qu'il sache que quelqu'un est là pour l'écouter. Que quelqu'un l'entend, quelqu'un d'autre que le vent, quelqu'un d'autre que la Lune à laquelle il l'a déjà vu s'adresser. Quelqu'un d'autre. Un humain.

Jack, continuant de fixer la Lune, ne fait aucun mouvement pour réduire la distance entre eux deux. Il se contente d'être mal. D'être mélancolique.

« Je sais plus... Je sais plus quoi faire, déclare finalement l'Esprit au bout de cinq minutes, d'une voix brisée qui fait mal à Harold tant elle diffère de celle qu'il a habituellement. Je... J'ai souvent tendance à me prendre pour le roi du monde, à m'amuser d'un rien, à me dire que de toute façon le bien gagne toujours et que peu importe le problème, il aura une solution. J'ai cru... j'ai cru que l'amusement était une solution. Que garder ça chez les enfants, ça pourrait les aider à affronter la vie plus tard, que leur bonheur d'enfants saurait venir à bout de leurs problèmes d'adultes. Mais... mais si j'arrive même plus à garder leur amusement alors qu'ils me font exister, si j'arrive plus à les défendre face à deux entités trop maléfiques pour mes flocons, si je sais plus les rendre heureux alors que c'est mon rôle de le faire, qu'est-ce qu'il me reste, comment je fais ?

Le désespoir dans sa voix touche le viking en plein cœur. Il n'aurait jamais cru que le Gardien de l'Amusement pouvait renfermer autant de questionnements, autant de responsabilités. Plus encore, il n'aurait jamais cru pouvoir comprendre, mieux qu'il ne comprenait personne, sa douleur, ses questions, ses états d'âme, son mal-être poignant. Se reconnaître en lui, se retrouver, à vingt ans, perdant son père en même temps qu'il se retrouvait brusquement confronté à son devoir de chef. Sa voix profondément bouleversée par les mots que venait de prononcer Jack Frost sort d'entre ses lèvres.

– J'ai parlé à Jamie, tout à l'heure. Je voulais savoir pourquoi je ne voyais qu'un seul Gardien sur cinq. Pourquoi je n'arrivais pas à voir les autres et pourquoi rêver la nuit te semblait si naturel alors qu'il n'est jamais venu à l'esprit des vikings de le faire.

Jack passe encore une main sur son visage, il n'a toujours pas élucidé ce mystère. Ça lui fait énormément de peine de se dire que les villageois de Beurk n'ont jamais rêvé de leur vie.

– Il m'a expliqué qu'il fallait croire en vous pour ça, ne pas douter une seule seconde de votre existence, et il m'a présenté chacun d'entre vous. Il m'a aussi dit qu'il fallait qu'au moins une personne croie en vous pour que vous existiez, il m'a parlé de ton histoire, d'il y a quinze ans.

Jack hoche la tête, lui montre qu'il l'écoute, même s'il semble distrait.

– Il m'a dit qu'il était le premier à avoir cru en toi.

– C'est vrai.

– T'avais quel âge ?

L'Esprit hausse les sourcils, étonné par la question.

Cauchemars d'enfants - HIJACKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant