Avez-vous déjà vu une jumelle à poil ?

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Casa Cubana.

Vendredi soir. 21 heures 23.

On était cinq ce soir-là. Les autres étaient partis voir un match de hockey sur glace à Saint-Quentin sans nous prévenir. On avait quand même décidé d'aller au bar comme tous les vendredis.

Il y avait Amanda (toute seule puisque sa frangine était grippée), Jocelyn, moi, Fanny et Dan.

Jocelyn qui avait l'œil sur toutes l'actualité des nouvelles technologies (il bossait à la Fnac), se mit à tripoter le téléphone flambant neuf d'Amanda.


"C'est ton nouveau téléphone ?

– Ouais ! C'est le SG-5. Mon père en a eu deux et il nous les a filés. La caméra est super !

– Ah ouais. Mbof ! J'ai lu sur un forum que la batterie était naze et qu'il avait des soucis de latence entre les répartiteurs GSM.

– Oh je m'en fous ! Tant qu'il fait des photos sympa. D'ailleurs, ma sœur – quelle conne ! – pour tester la caméra, elle m'a prise en photo sous ma douche pour déconner !

– Oh lol !"


STOP ! 

Afin que tout le monde saisisse bien l'étendue de la mesquinerie qui habitait la brochette de connards qui me servaient d'amis, il me parait aujourd'hui nécessaire de décrypter cette scène en détail.

Bien entendu, on aura tous compris que Jocelyn était un pédant trop sûr de lui et qui adorait se la ramener. Il bossait à temps partiel à la Fnac, plus exactement au service livraison, ce qui lui suffisait pour se considérer comme une sommité en termes d'appareils connectés et autre électro-ménager. Il profitait de son statut de salarié d'une grande enseigne pour critiquer absolument tous les choix que pouvaient faire ses comparses dans l'achat de téléphones, consoles, télévisions, appareils photos et même bande-dessinées ou romans, quand il arrivait exceptionnellement que l'un d'entre nous s'intéresse à la lecture.

Ce trait de sa personnalité était particulièrement pénible. Quand il était invité à une soirée chez un nouveau pote de Hugues ou des frères Tal-Tal, son premier réflexe était de faire le tour du salon et d'inspecter absolument tous les appareils électroniques, du plus grand au plus humble, avant de conclure systématiquement par un : "c'est de la merde ! Il faut pas prendre cette marque". 

On pourra aussi remarquer, en repensant à cette scène anodine où cinq jeunes consomment leurs monacos et demi-pêches hebdomadaires, que la jumelle Amanda avait une petite tendance à l'exhibitionnisme passif.

Amanda, tout comme sa cadette (plus jeune de trente minutes) était une fille un peu fofolle et excentrique et certainement un peu naïve. En tout cas, je ne pensais pas qu'elle avait consciemment décidé d'être une allumeuse. Elle avait juste un peu l'habitude d'être naturellement sexy et attirante, et parfois elle disait des énormités sans même s'en rendre compte. Il lui arrivait de répondre au premier degré, sans penser à mal, lorsqu'on lui posait des questions sur son intimité comme par exemple si elle préférait un ou deux doigts (un seul), si elle était plutôt pipe ou cuni (les deux), si elle aimait coucher avec des filles (pas trop) ou encore si elle faisait pipi sous la douche (oui, à chaque fois).

Au moment où elle venait d'annoncer à la ronde que sa frangine l'avait photographiée toute nue sous la douche avec son nouveau portable, pour elle, il s'agissait juste d'une anecdote rigolote.

Pas pour Dan.

Dan avait une fascination morbide pour le voyeurisme. Ça, je l'avais compris le jour où je l'avais raccompagné jusqu'à chez lui après une sortie à la Casa Cubana.

Il nous avait fait emprunter un chemin tortueux à travers les ruelles et qui me semblait assez exotique, surtout que la logique m'aurait poussé à prendre à droite en sortant du bar et à marcher sur deux kilomètres tout droit jusqu'à chez Daniel.

Or, nous nous étions éloignés de l'avenue principale pour entrer dans une succession de rues et ruelles du vieux quartier. À un moment, il souleva la grille abîmée d'un jardin privatif et m'invita à le suivre. Je n'étais pas très rassuré à l'idée de commettre une effraction sur la propriété d'un inconnu, mais Dan me rassura d'un geste silencieux.

Agenouillés dans le fond de ce jardin, Dan me montra du doigt une grande fenêtre illuminée de cet immeuble, au deuxième étage au-dessus du jardinet où nous nous trouvions.

Je découvris bouche bée une scène de partouze qui se jouait derrière la baie vitrée.

Incrédule, je plissais les yeux afin de me persuader qu'il s'agissait bien de la réalité et non de l'image d'une grande télé ou d'un rétro-projecteur.

Dan me secoua l'épaule pour attirer mon attention et me tendit une petite paire de jumelles, du genre qu'on utilise pour observer les oiseaux autour du lac du Caligou.

Je refusai poliment et me faufilai sous le grillage pour regagner la rue.

Dan m'expliqua que cet appartement avait été loué par un club d'échangistes qui ne s'en servaient que pour leurs ébats du weekend.

Comment il avait obtenu l'information, comment il avait découvert ce jardin, je ne voulus pas le savoir. 

Tout ce que je savais, c'était que ce type se promenait en ville avec une paire de jumelles pour surprendre ses concitoyens en train de baiser.

C'était sa grande passion. Au fil des semaines suivantes, il m'expliqua qu'il connaissait pas mal de bons spots où on pouvait mater en toute discrétion tantôt des étudiantes en train de jouer à la wii en tenue décontractée, tantôt des couples qui forniquaient toujours les mêmes jours à la même heure. Et puis, de temps en temps, il tombait sur des petites surprises inattendues, comme la photo d'Amanda à poil dans le portable d'Amandine.

Je le savais. Je le connaissais déjà par cœur. Je me doutais bien qu'il ferait tout son possible pour choper cette photo. Dès le weekend suivant, lorsque Amandine fut rétablie, il tenta à de nombreuses reprises de lui subtiliser l'appareil. Bien entendu, ce mec était capable de se positionner au dessus de l'épaule de n'importe qui pour observer les doigts qui exécutaient les codes de déblocage des téléphones. Et personne ne l'avait jamais gaulé sur le fait ! 

À part moi, mais j'avais depuis longtemps choisi de laisser faire, de ne jamais intervenir dans les coups de putes que tous les membres de la bande se faisaient les uns aux autres. Et je ne laissais jamais mon téléphone traîner sur la table.

Une fois, ma curiosité l'avait tout de même emporté au bout de nombreux mois. Je l'avais vu pendant une soirée du nouvel an, en train de photographier sous la table les culottes des filles assises autour de nous. Je m'étais demandé jusqu'où son esprit malade pouvait s'être perdu. J'appliquai dès lors sa méthode et l'observai débloquer son téléphone. J'attendis quelques heures qu'il aille vomir dans le jardin, pour m'emparer de son portable et creuser dans les méandres de sa carte mémoire.

Dan avait compilé des dizaines et des dizaines de photos prises à la volée, et en avait fait des petits fichiers thématiques : Fanny, Mélanie, Sandrine, Amanda, Amandine, inconnue 1, inconnue 14, inconnue 35, Mégane.

Mégane : la petite sœur MINEURE de Joss,  son meilleur pote de l'univers.

Décidément, ce type n'était pas net.

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